Rome sur les pas de Stendhal.
Rome sur les pas de Stendhal.
Dans ses Promenades dans Rome, Stendhal propose une méthode pour « voir Rome en dix jours ». Bien qu’il désapprouve un tel empressement et préconise de doubler le temps de séjour (au moins), il sent que déjà, les touristes de son temps n’ont pas forcément autant de temps que lui à consacrer à la contemplation, et il se fait le précurseur des guides modernes, qui prétendent vous faire découvrir la Ville en un clin d’œil.
On peut trouver un peu expédient l’argument d’autorité de l’éditeur (« Il ne faut pas chercher trop loin la raison de ce privilège. Il suffit de rappeler que Stendhal est Stendhal, un écrivain dont la qualité première est l’originalité »), et juger indigeste la liste des églises à visiter dans le programme (80 églises en 8 jours, compte rond avant d’aller visiter le Vatican, et de lui consacrer la totalité de la 9e journée), il n’en reste pas moins que Stendhal est incontournable. Pourquoi ? Eh bien parce qu’il est possible sans doute de distinguer plusieurs provincialismes, et que s’il n’y en avait que deux, il serait toujours plus gratifiant d’être un Provincial qui connaît son Stendhal qu’un Provincial qui connaît son guide bleu (ou son plan du magazine Capital).
Il faudrait lire et rendre compte des préfaces, introductions, avant-propos, avertissements au lecteur, etc… Mais l’impatience d’en découdre avec le cœur du sujet est la plus forte : examinons donc la première journée.
« … sans projet ni science, et uniquement en suivant l’impulsion du moment. » (30 mai 1828)
Première journée.
ESCALUS
Mon ami, vous m’avez l’air d’être un peu misanthrope et envieux ?
MERCUTIO
J’ai vu de trop bonne heure la beauté parfaite.
Saint-Pierre et le Vatican,
Le Colisée,
Le Panthéon,
Le palais de Monte Cavallo,
Le Corso,
Les musées du Capitole et du Vatican,
Les galeries Borghèse et Doria,
Saint-Paul-hors-les-murs,
La pyramide de Cestius,
Faire le tour des murs,
Errer dans Rome au hasard.
La première journée est manifestement consacrée à une découverte sous forme de bref coup d’œil à quelques-uns des plus importants monuments de la Ville. Cela se justifie par le retour qu’on y fera (9e journée consacrée au Vatican).
Ce qui est a priori moins aisément compréhensible c’est le pourquoi du palais du Monte Cavallo ou de la pyramide de Cestius, qui paraissent mineurs par rapport au Cirque Maxime ou aux jardins du Quirinal, par exemple. Et puis comment jeter un simple coup d’œil aux musées du Capitole et du Vatican ? Voilà qui, d’entrée de jeu, n’est pas raisonnable.
Du temps de Stendhal, l’aéroport n’existait pas (bien sûr), mais encore aujourd’hui, on n’est pas obligé d’arriver à Rome par avion. Cela doit cependant avoir du style, surtout si c’est par un matin de grand soleil (imaginons le printemps) qui permet d’apercevoir la basilique de Saint-Pierre, la place et l’obélisque.
Même si l’on est contraint à une solution plus modeste, comme le train et la stazione Termini, il faut se précipiter à son hôtel pour y déposer armes et bagages, avant de se diriger vers le Vatican, toujours au pas de course.
Cette première journée doit être placée sous le signe de la vitesse, s’il n’est pas question de tout voir, il est surtout interdit de flâner, de prendre son temps. Dans l’idéal, il faudrait faire comme si cette première journée devait être la seule qu’on va passer à Rome. S’obliger à aller vite, se fixer pour objectif d’être exhaustif, c’est peut-être le meilleur moyen de retrouver la gaieté et la virevolte stendhalienne. Les flâneries romaines, bien sûr, sont réputées : mais pourquoi ne pas laisser ça pour plus tard, quand on sera élu sénateur à vie dans la Ville éternelle ?
C’est aussi la raison pour laquelle il faut préserver la voiture – et l’arrivée par le « gran raccordo annolare » que montre Fellini dans Roma –. La voiture donne un sentiment de puissance et de confort qui exclut toute urgence. Pour peu qu’il y ait des embouteillages, et l’on se retrouve avec un mal de crâne qui vous donne envie de commencer le séjour romain par une sieste. À éviter.
Première étape, donc, le Vatican. Pour s’y rendre, cherche le plus court chemin. Aujourd’hui, on se passe difficilement d’un taxi. De la stazione Termini, prendre la via Nazionale, puis la via du IV-Novembre, voir en un clin d’œil la piazza VENEZIA avec le balcon d’où Mussolini haranguait la foule et le Vittoriano (la “machine à écrire »), s’engager dans la via del PLEBISCITO, puis dans le corso VITTORIO EMANUELE, emprunter le pont VITTORIO EMANUELE II, et rejoindre la via della CONCILIAZIONE, et arriver triomphalement sur la place Saint-Pierre. S’il y a vraiment trop d’embouteillages, y aller à pied.
Pour rallier le Colisée, rebrousser chemin jusqu’à la piazza VENEZIA, bifurquer vers la via dei FORI IMPERIALI, en profiter pour ajouter la colonne Trajane aux images qui resteront associées à cette première journée.
De la rue des Forums, tenter d’apercevoir le Forum romain, mais surtout se préparer mentalement au choc du Colisée.
Ne pas s’attarder, mais ne pas oublier pour autant l’Arc de Constantin.
Revenir par la via dei FORI IMPERIALI, et sur la piazza VENEZIA, emprunter la via del CORSO, tourner dans la via della CARAVITA, passer devant l’église Saint-Ignace, emprunter la via del SEMINARIO, et déboucher sur la piazza della ROTONDA.
Il s’agit ici de se rappeler brièvement qu’Agrippa voulait consacrer le Panthéon à Auguste, qui déclina poliment, l’édifice étant finalement dédié à Jules César, et à la gens Julia.
Revenir sur la via del Corso par la piazza della MINERVA, les vie di SANTA CATARINA et del PIE di MARMO, et par la piazza del COLLEGIO ROMANO.
Stendhal parle ensuite du palais de « Monte Cavallo » ; c’est ici que l’enthousiasme et la vitalité risquent de retomber : où est ce fichu « palazzo di Monte Cavallo » ? Je vois bien une « Salita Monte Cavallo », près de la piazza et du palazzo del Quirinale : celui-ci serait-il le palazzo en question ? Quoi qu’il en soit, ne pas se laisser démonter : l’important, c’est la via del CORSO. Admirer donc les palais « Pamphilj » et « Odescalchi » en premier lieu, non loin de la pizza VENEZIA. Pousser jusqu’au palazzo COLONNA, si on ne l’a pas bien vu tout à l’heure, passant dans la rue du IV-Novembre. Puis descendre la via del CORSO.
Avant de rejoindre la piazza COLONNA, tourner à droite dans la via delle MURATTE pour s’acquitter d’une petite formalité administrative : il s’agit d’aller jeter une pièce dans la fontaine de TREVI, non seulement pour s’assurer qu’on reviendra à Rome, et accessoirement que cela se fera en compagnie d’une compatriote d’Anita Ekberg. Voilà, comme ça, c’est fait, il n’y a plus à y penser, on peut reprendre le rythme enfiévré et stendhalien de cette première journée dans Rome.
Il reste alors les musées du Vatican et du Capitole, les galeries Borghese et Doria, la pyramide de Cestius, Saint-Paul-hors-les murs, et surtout l’errance dans Rome. Les musées du Vatican, on suppose qu’on les a aperçus lors du « pèlerinage » à la place Saint-Pierre ; les musées du Capitole, il faut les avoir vus sur le chemin du retour entre le Colisée et le Panthéon : piazza del CAMPIDOGLIO, CAMPIDOGLIO, palazzo dei CONSERVATORI, musei « near the » chiesa d’ARACOELI, etc…
Il s’agit maintenant de se rendre à la galleria BORGHESE. Comme le plus simple n’est pas nécessairement le plus amusant, et puisqu’on se trouve à la fontaine de TREVI, il suffit de retrouver la via del CORSO, de la descendre jusqu’à la piazza del POPOLO (coup d’œil au café CANOVA, à l’ombre le matin), de là prendre la via del BABUINO jusqu’à la piazza di Spagna, rallier la via del TRITONE, soit par la via dei DUE MACELLI, soit par la via SISTINA, après avoir monté les escaliers de la Trinité-des-Monts, et se retrouver piazza Barberini.
Admirer la fontaine del TRITONE, puis emprunter obligatoirement la via VITTORIO VENETO, que l’on remontera tout entière ; passant le mur, on se retrouve piazzale BRASILE, et de là descendre le viale del Museo Borghese jusqu’à la galerie du même nom.
Comme je ne trouve pas la galleria DORIA, je préconiserais un tour jusqu’au jardin zoologique, et au museo coloniale et zoologico.
De là, plusieurs possibilités :
1. Faire le tour du quartier des musiciens : via VINCENZO BELLINI, piazza GIUSEPPE VERDI, viale GIOACCHINO ROSSINI, via CLAUDIO MONTEVERDI, via GAETANO DONIZETTI, et faire un saut jusqu’au TEATRO dell’OPERA, situé non loin de la piazza FONTANA, et de la stazione TERMINI;
2. En profiter pour voir la GALLERIA d’ARTE MODERNA, la SCUOLA BRITTANICA d’ARTE, la FACOLTA d’ARCHITETTURA, et le musée de la villa GIULIA.
3. Jeter un œil au GALOPPATOIO ;
4. En profiter pour déjeuner, s’il n’est pas trop tard dans l’après-midi.
Saint-Paul-hors-les-murs (San Paolo fuori le Mura), se trouve non seulement hors les murs, mais près du Tibre, au sud-ouest. Le plus simple pour s’y rendre est de rallier le Colisée ; de là, prendre la via SAN GREGORIO, en passant sous l’Arc de Constantin, puis la via di SAN PAOLO, qui passe derrière le Monte AVENTINO jusqu’à la porta SAN PAOLO. Là, continuer sur ce qui semble être l’autoroute SS 8, qui est aussi le chemin qui conduit à l’E.U.R.
Saint-Paul-hors-les-murs n’est pas une église, mais une basilique. Le guide bleu de 1914 rappelle qu’elle fut fondée au IVe siècle, sur l’emplacement du tombeau de Saint-Paul, et qu’elle fut détruite en 1823 par un incendie. Reconstruite d’après les anciens plans sur l’ordre de Léon XII, c’est une des plus belles et des plus vastes de Rome. La façade principale se trouve du côté du Tibre ; elle est décorée de mosaïques et percée de sept portes. L’intérieur est à la fois riche et imposant ; le transept est orné de peintures murales relatives à la vie de Saint-Paul (cf. l’épisode de son naufrage au large de Malte).
En sortant de la basilique, après avoir traversé une campagne triste et autrefois marécageuse, où ont été plantés des eucalyptus pour assainir les sols (œuvre de trappistes français), et où des vignes ont remplacé les bruyères, on peut arriver en vingt-cinq minutes à l’abbaye des trois fontaines, où sont les trois églises : Saints Vincent et Anastase, Santa Maria Scala Coeli, et San Paolo alle tre fontane.
En revenant sur ses pas, passant par la basilique, on rejoint la porta SAN PAOLO, l’antique PORTA OSTIENSE. Sur la gauche, se trouvent le cimetière protestant et la pyramide de CESTIUS, construite vers l’an 12 av. J.-C. et revêtue de marbre. Il s’agit du tombeau de Caïus Cestius Epulo.
Quant au MONTE TESTATCCIO, un peu plus loin, il s’agit en fait d’un monticule isolé composé de débris d’amphores (une sorte de décharge antique).
Il est alors temps d’entreprendre le « petit tour » - par opposition au « gran raccordo annolare » -, le tour des murs de Rome.
Pour suivre l’ordre des portes, il faut successivement rencontrer, après la porte de San Paolo : la porta LATINA, à l’extrémité des jardins des thermes de Caracalla, la porta METRONIA, la porta SAN GIOVANNI (qui donne sur la place SAINT-JEAN DE LATRAN), de laquelle part la via APPIA NUOVA, l’ANFITEATRO CASTRENSE, SANTA CROCE IN GERUSALEMME, la porta MAGGIORE, non loin des voies de chemin de fer qui conduisent à la stazione Termini, la porta San Lorenzo, la porta TIBURTINA, la via BONAPARTE (de l’autre côté, se trouvait le VICOLO dell’OSTERIA), qui longe la caserne ; on peut alors sortir par le CASTRO PRETORIO pour rejoindre la via delle MURA, qui longe le POLICLINICO (de l’autre côté du mur se situe un camp militaire), puis revenir en tournant à gauche, vers le collegio di SAN LEONE MAGNO, et entre la villa TORLONIA et la villa PATRIZI, découvrir la porta PIA, par laquelle entrèrent les troupes piémontaises quand les Français eurent abandonné le pape, le 20 septembre 1870. La ville des papes devint alors la capitale du royaume, et l’unité italienne put enfin être proclamée.
Par le CORSO d’ITALIA, on rejoint alors la porta SALARIA, puis sur le piazzale BRASILE, la porta PINCIANA (la villa Borghese est située sur le MONTE PINCIO).
On doit alors choisir de faire l’intérieur ou l’extérieur ; le plus beau semble être de suivre, à l’extérieur, le viale del MUR TORTO, jusqu’à la porta del POPOLO et SANTA MARIA DEL POPOLO, en laissant la villa Médicis et la Trinité des Monts pour la suite du séjour. Là, les murs d’enceinte s’interrompent. Pour les retrouver, il faut emprunter la via SAVOIA, le lungotevere ARNALDO da BRESCIA, et le ponte della Regina Margherita, qui donne sur la piazza della Libertà et sur la via COLA di RIENZO. Celle6ci amène à la piazza del RISORGIMENTO; il y a bien un mur qui va jusqu’au castel SANT’ANGELO (via porta ANGELICA, via dei CORRIDORI, BORGO SAN ANGELO), mais mieux vaut aller vers la droite, et contourner le Vatican par l’extérieur : c’est plus long. Pour cela, il faut prendre la via LEONE IV, puis le viale VATICANO (…), puis par la via AURELIA, rejoindre la porta CAVALLEGGERI (ne pas oublier, pendant qu’on fait le tour, de rêver aux jardins du Vatican, autrement plus attrayants que la façade « publique » de la basilique).
Par la strada della MURA (ou viale delle MURA AURELIA, et le viale delle MURA GIANICOLENSI, après le piazzale GARIBALDI), faire le tour du Janicule et rejoindre la porta SAN PANCRAZIO (qui se trouve en fait avant le viale delle MURA GIANICOLENSI). Enfin, rallier la porta PORTESE, qui se trouve juste avant le ponte SUBLICIO.
La porte PORTESE est séparée de la porta SAN PAOLO par la via MARMORATA.
Avant d’errer au hasard des rues de Rome, on peut se rendre sur le Monte AVENTINO, et sur la piazza di CAVALIERI di MALTA, d’où par le petit trou d’une serrure, on aperçoit le dôme de Saint-Pierre, déclamer sur le ton d’un acteur habitué à réciter Shakespeare avec trop d’emphase, ces vers de Lord Byron :
Italia, oh Italia ! Thou who hast
The fatal gift of beauty…
10 janvier 2000.