Les choliambes des Satires de Perse

Le Mont Parnasse et le Mont Hélicon sont des lieux sacrés liés à Apollon et aux Muses. Au mont Parnasse, résidence des Muses, Apollon présidait en tant que juge. Au Mont Hélicon, Apollon et les Muses étaient honorés ensemble. La Fontaine d’Hippocrène était un symbole de ce lien divin.

Les choliambes des Satires de Perse (1).



Il s’agit du préambule de l’œuvre de Perse, les Satires.


Nec fonte labra prolui caballino

nec in bicipiti somniase Parnaso

memini, ut repente sic poeta prodirem.

Heliconidasque pallidamque Pirenen

illis remitto quorum imagines lambunt

hederae sequaces; ipse semipaganus

ad sacra vatum carmen adfero nostrum.

Quis expidivit psittaco suum « Chaere »

picamque docuit nostra verba nostra conari ?

magister artis ingenique largitor

venter, negatas artifex sequi voces.

Quod si dolosi spes refulserit nummi,

corvos poetas et poetridas picas

cantare credas Pegaseium nectar.




Vocabulaire :

caballinus fons : la fontaine d’Hippocrène, source de Pégase, sur le mont Hélicon en Grèce. Elle est ici tournée en dérision par le poète.

Somnio, are : verbe, rêver à.

Memini, isse : se souvenir, se rappeler.

Lambo, is, ere : lécher, sucer, flatter, caresser.

Remitto, ere : renvoyer, rejeter, riposter.

Affero, afferre : apporter, causer, annoncer, raconter.

Expedio, expedire : exposer, débarrasser, faire sortir, déballer, débrouiller.

Doceo, es, ere : instruire, informer de.

Largitor, oris : celui qui fait des largesses.

Refulgeo, es, ere : reluire, resplendir.



Ma traduction littérale :

      Je n’ai ni abreuvé mes lèvres à la source du cheval ni, autant qu’il m’en souvienne, rêvé sur le Parnasse à la double tête, pour surgir tout à coup poète.

      Les déesses de l’Hélicon et la pâle Pirène, je les leur laisse, à ceux dont les images sont entourées et caressées de lierre grimpant ; c’est en demi paysan que j’apporte mes propres vers en hommage à notre maître.

      Qui a suggéré au perroquet son Bonjour ? Qui a enseigné aux pies à contrefaire laborieusement notre langage ? Un maître en art et distributeur de génie, le ventre, habile à faire naître les mots malgré les obstacles naturels.

      Quand l’espoir trompeur de l’or a été déçu, corbeaux et pies font entendre en guise de consolation leur chant digne de Pégase.





La traduction de Jules Lacroix (2), 1932 :

Jamais je n’allai boire aux sources d’Hippocrène ;

Et sur le double mont je n’ai pas sommeillé,

Pour me trouver poète aussitôt qu’éveillé.

J’abandonne l’Hélicon, et la pâle Pirène,

À ceux dont un lierre, au flexible contour,

Enlace mollement et caresse l’image ;

Et, demi villageois, j’ose offrir à mon tour

Au temple d’Apollon mon poétique hommage.

Qui fit articuler BONJOUR au perroquet ;

Dressa le corbeau rauque, étrange phénomène !

À murmurer SALUT, dans son bruyant caquet ;

La pie à bégayer des sons de voix humaines ?

C’est un habile artiste, et qui, malgré les dieux,

Dispense le génie et la parole aux bêtes ;

La faim ! – Brille l’espoir d’un or insidieux,

Perroquets et corbeaux, au même instant poètes,

Viendront vous saluer de chants mélodieux !


La traduction du marquis de La Rochefoucauld-Liancourt (3), 1857 :

Je n’ai point bu des eaux qu’un coursier fit jaillir ;

Les muses au Parnasse auraient pu m’accueillir,

Et me nommer poète au lever de l’aurore.

Mais qu’un autre aujourd’hui les suive et les implore,

S’il aime à couronner son buste de lauriers !

Moi, j’habite humblement mes toits hospitaliers,

Et j’offre sans orgueil le tribut de mes veilles,

Quel maître fit parler nos antiques corneilles,

Apprit à la perruche à saluer tout haut,

Montra même à la pie à prononcer un mot ?

Qui ? celui qui t’enseigne, et te guide à tout âge,

Qui te donne un esprit, une voix, un langage ;

C’est un habile maître, un grand maître : la faim.

On la voit tressaillir devant l’or, et soudain

Corbeaux et perroquets deviennent tous poètes :

Et les chants qu’elle inspire embellissent nos fêtes.



La traduction de Pierre Somville (4), 2001 :

Je n’ai touché des lèvres la source au Canasson

Et je n’ai pas rêvé sur le double Parnasse

Que je sache, pour me trouver d’un coup poète,

Les Héliconiennes et la blême Pirène

Je les leur laisse, à ceux dont les lierres

Tenaces enlacent les images, car moi, demi-rustique

C’est à l’autel des inspirés que j’apporte mon poème et il est bien à nous.

Qui donc apprit au perroquet à dire son « Hello »

Ou à la pie à s’efforcer de parler notre langue ?

C’est le maître de l’art, dispensateur du trait d’esprit

Le ventre, l’artiste d’un talent qui se refuse ailleurs

Car lorsqu’aura brillé l’espoir trompeur de la monnaie

Tous nos corbeaux poètes, nos poétesses pies

Tu les verras chanter le nectar de Pégase.



2001, repris en octobre 2024

1 Perse, ou l'homme du refus - Persée (persee.fr)

2 Perse, Satire I, traduction de Jules Lacroix. (remacle.org)

3 Les choliambes de Perse - Persée (persee.fr)

4 Les choliambes de Perse - Persée (persee.fr)

Précédent
Précédent

Un lieu perçu à travers les sens : Rome.

Suivant
Suivant

Je me souviens de L’Évangile selon Saint Mathieu (1964), de P.-P. Pasolini