Je me souviens de la rade de Toulon et du vent du large.

Toulon - La rade

Je me souviens de la rade de Toulon et du vent du large.

    Je me souviens d’avoir visité Toulon sous le mont Faron, et sa rade, la plus belle d’Europe selon Vauban, et je ne vois pas pourquoi je ne serais pas d’accord. Des cités portuaires, j’en ai vues, comme Naples, Palerme, Gênes, Nice, Saint-Pétersbourg… non, à Saint-Pétersbourg, je n’ai pas vu de port.

    Ma préférence va quand même à Nice, par amour de la terre natale, mais je dois reconnaître que le port de Gênes m’a beaucoup impressionné ; à l’époque du royaume de Piémont-Sardaigne, il avait la prééminence sur celui de Nice et je comprends pourquoi : Nice, c’est un port pour les navires de croisière qui font la liaison avec la Corse (je crois me souvenir que quand j’étais enfant, on était passés par là pour aller en Corse, vers l’Ile Rousse), ainsi que pour les barques de pêcheurs, les « pointus », sympathiques mais folkloriques ; en revanche, la pêche, se lever tôt pour partir au petit matin quand tout le monde dort encore, ça doit être quelque chose de terriblement excitant et émouvant, très poétique aussi ; dans Le Vieil homme et la mer (1951), Hemingway avait donné une dimension métaphysique à ce combat entre l’homme et le poisson, quelque chose qu’on retrouve dans la quête du capitaine Achab à la poursuite de la baleine blanche dans Moby Dick (1851, soit un siècle plus tard) : la quête inconsciente d’un sens, dans le dépassement de soi, en repoussant les limites, seul chez Hemingway, ou en commandant à une troupe de durs à cuire chez Hermann Melville, qui a aussi écrit sur les îles et les paradis trompeurs qu’elles abritent, ces gros rochers volcaniques peuplés de serpents, de tortues, d’araignées, de mouettes et de pélicans que sont les Galapagos (Les Encantadas ou Iles enchantées, 1854) ; n’empêche qu’à Gênes, il s’agit d’un véritable port industriel, à côté du port pour les touristes et les bateaux de croisière, héritier de celui de la République de Gênes, qui avait fondé sa puissance sur la domination des mers, source de sa rivalité avec Venise ; Pise aussi a été une république maritime ; enfin, Livourne, où est né le peintre Modigliani qui fut un des grands artistes maudits du Paris des années de la Belle Époque et des années de la Première Guerre mondiale, a aussi été un grand port industriel. Modigliani, Hemingway, Melville ont eu des vies passionnantes : des exemples d’hommes qui ne peuvent que susciter l’admiration ; je ne sais pas pourquoi, je les préfère à Picasso et à Gertrude Stein qui font l’objet d’une exposition actuellement à Paris. Peut-être parce qu’ils sont passé de mode, de manière très temporaire), ainsi que le quartier du Mourillon. C’était l’époque où j’étais attiré par le restaurant gastronomique Les Pins penchés. La Côte, ça sent bon le sable, la brise marine, les embruns, ainsi que les cigales qui chantent dans la pinède. Il est agréable de s’y promener, même seul, bien que ce soit assez sale, vu qu’en dépit des campagnes de prévention, les gens jettent n’importe quoi.

    Je me souviens de l’époque où le train s’arrêtait à Toulon, et non aux Arcs, où mon grand-père venait nous chercher. J’ai des souvenirs doux-amers de cette période : je ne faisais pas ce que je voulais, et j’étais trop jeune pour savoir que le bonheur consiste à accepter une discipline. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à l’admettre, et pourtant j’obéis, plus par léthargie que par adhésion à cette éthique.

    La liberté ! le grand vent du large, l’aventure, dire ce qu’on veut, faire ce qu’on veut, à condition d’en accepter et d’en assumer les conséquences.       Étrange quand même, la soumission, non pas l’absence de révolte, parce que j’en ai eus des accès de révolte, mais désordonnés, tardifs, impulsifs, et forcément sans lendemain, destinés tout au plus à m’attirer des sourires ironiques.

    Voilà comment je me suis fait avoir : peu consciencieux à l’étude, volontiers rêveur, j’ai tout à la fois conscience de mon apparence physique peu avantageuse, surtout vu de derrière, avec ce grand dos voûté et ce crâne… qui ne me satisfait guère, tandis que je reste un ingénu, même si je suis censé être dessalé. Je suis surtout fourbu, comme je l’ai toujours été. Ah, Oscar Wilde :

    — Ne dites pas que vous avez épuisé la vie, quand c’est la vie qui vous a épuisé. 

    — Il reste à être étonné. Bon an mal an, on ne vit qu’une heure, répondait Jacques Brel dans la complainte d’Un roi sans divertissement, d’après le roman de Jean Giono, Pourquoi faut-il que les hommes s’ennuient ?

Pourtant les hôtesses sont douces

Aux auberges bordées de neige

Pourtant patientent les épouses

Que les enfants ont prises au piège

Pourtant les auberges sont douces

Où le vin fait tourner manège

Pourquoi faut-il que les hommes s’ennuient ?

Pourtant les villes sont paisibles

Où tremblent cloches et clochers

Mais le diable dort-il sous la bible

Mais les rois savent-ils prier


Pourtant les villes sont paisibles

De blanc matin en blanc coucher

Pourquoi faut-il que les hommes s’ennuient ?


Pourtant il nous reste à rêver

Pourtant il nous reste à savoir

Et tous ces loups qu’il faut tuer

Tous ces printemps qu’il reste à boire

Désespérance ou désespoir

Il nous reste à être étonnés

Pourquoi faut-il que les hommes s’ennuient ?


Pourtant il nous reste à tricher

Être le pique et jouer cœur

Être la peur et rejouer

Être le diable et jouer fleur

Pourtant il reste à patienter

Bon an mal an on ne vit qu’une heure

Pourquoi faut-il que les hommes s’ennuient ?

    Il n’y a pas à chercher plus loin la raison de mon manque de dynamisme, et la faculté que j’ai à me laisser dépasser, à me faire maltraiter par les bourgeois et les prolétaires de mon entourage, à réussir si peu de choses dans la vie : cette fascination pour la métaphysique, pour le blanc manteau de neige recouvrant le Trièves, entre Dévoluy et Vercors, en contrepoint à la vulgarité des tons criards du monde moderne…

    Et contrairement à Jean Giono, il n’y a aucune complexité narrative dans mes écrits : la multiplicité des narrateurs pour raconter une histoire… Je m’emmêle déjà suffisamment comme ça, avec la complexité et tous les pièges qui me sont tendus.

    Pourquoi faut-il que les hommes s’ennuient ? C’est une bonne question : c’est ce qui les conduit à tricher, à faire le mal, à penser à mal, même si c’est par maladresse, ou par ignorance, dirait Aristote, plus que par méchanceté.

13 novembre 2023.

Traduction en italien :

    Ricordo di aver visitato Tolone sotto il monte Faron e il suo porto, il più bello d'Europa secondo Vauban, e non posso che essere d'accordo. Città portuali, ne ho visitati come Napoli, Palermo, Genova, Nizza, San Pietroburgo... no, a San Pietroburgo non l’ho visto il porto.

    La mia preferenza resta Nizza, per amore della terra natale, ma devo ammettere che il porto di Genova mi colpì molto; ai tempi del regno di Piemonte-Sardegna, aveva la preminenza su quello di Nizza e capisco perché : Nizza è un porto per gli navi di crociera che effettuano il collegamento con la Corsica (mi sembra di ricordare che quando ero bambino passavamo di lì per andare in Corsica, verso l’Ile Rousse), nonché le barche per la pesca, i “pointus”, simpatici ma folcloristici; d'altronde pescare, alzarsi presto per partire nel piccolo matino quando tutti dormono ancora, deve essere qualcosa di terribilmente emozionante e entusiasmante, anche molto poetico; nel suo romanzo Il Vecchio e il mare (The Old Man and the Sea, 1951), Hemingway ha dato una dimensione metafisica a questa lotta tra l’uomo e il pesce, qualcosa che ritroviamo nella ricerca del Capitano Achab all'inseguimento della balena bianca in Moby Dick (1851, quindi un secolo prima) : la ricerca incosciente di senso, nel sorpassamento di se stessi, spingendo oltre i propri limiti, da solo nel romanzo di Hemingway, o comandando una dura truppa di marinai tosti nel romanzo di Hermann Melville, che scrisse anche sulle isole e gli ingannevoli paradisi che ospitano, queste grandi rocce vulcaniche popolate di serpenti, tartarughe, ragni, gabbiani e pellicani che sono le Galapagos (Le Encantadas o Isole Incantate, 1854); Eppure, a Genova, si tratta di un vero e proprio porto industriale, accanto allo scalo turistico e alle navi da crociera, erede di quello della Repubblica di Genova, che aveva basato la sua potenza sul dominio dei mari, fonte della sua rivalità con Venezia; Anche Pisa era una repubblica marinara ; infine, Livorno, dove nacque il pittore Modigliani, che fu uno dei grandi artisti maledetti della Parigi della Belle Époque e degli anni della Prima Guerra Mondiale, fu anche un importante porto industriale. Modigliani, Hemingway, Melville hanno avuto vite affascinanti : esempi di uomini che non possono che suscitare ammirazione; Non so perché, li preferisco a Picasso e Gertrude Stein che sono attualmente oggetto di una mostra a Parigi. Forse perché sono passati di moda, temporaneamente, così come il quartiere del Mourillon. Era il periodo in cui ero attratto dal ristorante gourmet I Pini pendenti. La Costiera, laggiù, evoca la sabbia, la brezza e i spruzzi marini, ma anche il canto delle cicale nella pineta. È piacevole passeggiare lì, anche se è piuttosto sporco, perché nonostante le campagne di prevenzione, la gente butta via qualsiasi cosa.

    Ricordo quando il treno si fermava a Tolone, e non agli Arcs, dove mio nonno veniva a prenderci. Ho ricordi agrodolci di questo periodo : non stavo facendo quello che volevo, ed ero troppo giovane per sapere che la felicità consiste nell'accettare la disciplina. Ancora oggi faccio fatica ad ammetterlo, eppure obbedisco, più per letargia che per adesione a questa etica. Libertà ! il grande vento che viene dal mare, l'avventura, dire quello che vuoi, fare quello che vuoi, a patto di accettarlo e di assumersene le conseguenze. Strana tuttavia la sottomissione, non assenza di rivolta, perché ho avuto episodi di rivolta, ma disordinati, tardivi, impulsivi e necessariamente di breve durata, destinati tutt'al più a strapparmi sorrisi ironici.

    Ecco come mi sono lasciato ingannare : poco coscienzioso negli studi, volentieri sognatore, sono allo stesso tempo cosciente del mio aspetto fisico poco attraente, soprattutto visto da dietro, con questa larga schiena arcuata e questo teschio... che difficilmente mi soddisfa, mentre io rimango un'ingenua, anche se dovrei essere un po’ poù astuto e disilluso. Sono quasi esausto, come sempre. Ah, Oscar Wilde :

    — Non dire che hai esaurito la vita, quando è la vita che ti ha esaurito.

    — Resta da essere stupiti. Anno dopo anno, si vive solo un'ora, rispondeva Jacques Brel nella cantilena di Un re senza divertimenti, il film tratto dal romanzo di Jean Giono, Perchè gli uomini si annoiano ?

Eppure le locandiere sono gentile

Nelle locande innevate

Eppure le mogli sono paziente

Che i bambini hanno intrappolate

Eppure le locande sono dolce

Dove il vino fa girare la giostra

Perché devono gli uomini annoiarsi ?

Eppure le città sono pacifiche

Dove tremano le campane e i campanili

Ma dorme il diavolo sotto la Bibbia

Ma sanno i re pregare

Eppure le città sono tranquille

Dal bianco mattino al bianco tramonto

Perché devono gli uomini annoiarsi ?

Eppure ci resta ancora da sognare

Eppure ci resta ancora da sapere

E tutti questi lupi che devono essere uccisi

Tutti questi sorgenti che restano da bere

Disperazione o desesperenza

Ci resta ancora ad essere stupiti

Perché devono gli uomini annoiarsi ?

Eppure ci resta ancora da imbrogliare

Essere la spada e giocare cuore

Avere paura e giocare ancora

Essere il diavolo e giocare fiore

Eppure ci resta ancora ad essere pazienti

Anno buono, anno brutto viviamo solo un'ora

Perché devono gli uomini annoiarsi ?

    Non c’è bisogno di cercare oltre il motivo della mia mancanza di dinamismo, e la capacità che ho di lasciarmi sopraffare, di farmi maltrattare dai borghesi e dai proletari che mi circondano, per ottenere così poco nella vita : questa fascinazione per la metafisica, per il bianco manto di neve che ricopre i Trièves, tra Dévoluy e Vercors, in contrappunto alla volgarità dei toni sgargianti del mondo moderno...

    E a differenza di Jean Giono, nei miei scritti non c'è complessità narrativa : la molteplicità dei narratori per raccontare una storia... mi sento già abbastanza invischiato così com'è, con la complessità e tutte le trappole che mi vengono tese.

    Perchè gli uomini si annoiano, perchè devono annoiarsi ? Questa è una bella domanda : è questo che li porta a imbrogliare, a fare il male, a pensare male, anche se per goffaggine, per ignoranza, direbbe Aristotele, più che per cattiva malizia.

13 novembre 2023.

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