Cette nuit-là.

Le pont Alexandre III - Paris

Ce soir-là, j’étais rentré recru de fatigue des activités de la journée.

Poussettes, camionnettes, scooters, taxis m’avaient donné un échantillon tristement banal de l’enfer de la circulation à Paris, encore exacerbé par les discours auto-satisfaits des pouvoirs publics. J’avais cherché une idée de cadeau pour mon père et je ne l’avais pas trouvée. J’avais pensé pouvoir me réconforter en allant au restaurant, mais au milieu de la foule des touristes et des établissements qui leur sont destinés, je n’avais pas trouvé mon bonheur. Les applications internet, sous prétexte de proposer des endroits discrets, au fond d’une cour ou bénéficiant d’une terrasse ombragée, se livraient à une publicité éhontée, assortie de commentaires dithyrambiques.

J’étais donc de très méchante humeur et bien décidé, après un dîner rapide, à me coucher tôt. Dents brossées, je me mis au lit.

Mais cette nuit-là, le sommeil ne vint pas. Des idées bizarres me trottaient dans la tête. J’avais lu ce que Proust écrivait sur l’autisme. Me revinrent alors en mémoire mes terreurs d’enfant, et en particulier ce cauchemar que je faisais, associé à cette idée d’autisme : tandis que j’étais allongé sur le lit, je tentais de me tourner pour toucher le bord et n’y parvenais pas, d’un côté comme de l’autre, mon lit prenant alors les dimensions d’un immense désert au milieu duquel j’étais perdu, suscitant une angoisse d’autant plus poignante que je ne savais pas si j’étais endormi ou éveillé, s’il s’agissait d’une vision nocturne ou de la réalité. J’étais cependant désormais un adulte, et ne pouvais me résoudre à me laisser ainsi impressionner par une lointaine réminiscence.

Je me levais pour boire un verre de lait, grignoter un biscuit et fumer une cigarette, en regardant les toits de Paris dans la nuit sans étoiles. Tout était calme. Pas un cri, pas un bruit de voiture, seuls étaient allumés les réverbères de l’avenue. Ce calme était oppressant. La sourde angoisse reprit le dessus, une angoisse proprement existentielle. Un mélange de souvenirs et de monstres, d’images déliquescentes qui me faisaient ressentir le besoin d’un point d’appui solide. J’avais la tête qui bourdonnait, et de petites lumières clignotantes semblables à celles d’un tableau de bord électronique s’allumaient quand je fermais les paupières. Je rêvais d’infini et d’éternité, cependant je devais me rendre à l’évidence : aucune nuit de Gênes ne viendrait à mon secours.

Je n’étais pas un poète, et nulle illumination ne viendrait m’apporter la grâce d’un beau style. J’étais un laborieux, destiné à errer, paresseux pour écrire comme pour travailler. Mon style ne pouvait être que le reflet de ma personnalité, hésitante et brouillonne, dépourvue de charme et de mystère.

J’aimais lire, et en particulier de la poésie, mais j’étais beaucoup trop fasciné par les films et les ragots de la société du spectacle pour produire quelque chose de valable. Il me fallait donc me rendre à l’évidence : je ne m’étais pas donné les moyens de mes ambitions, qui s’étaient évanouies comme la fumée d’une cigarette.

Avril 2023.

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JE … JE … JE ... : un moment fort lié au corps, à la première personne.