Une soirée difficile à oublier

Une soirée difficile à oublier

    Ce soir-là, j’avais été invité par mes voisins qui venaient d’emménager dans l’immeuble, au 6e étage, et qui pendaient leur crémaillère. J’étais dans mes petits souliers, ne sachant trop quel parti prendre. À la fin, je me suis décidé, j’avais besoin de voir du monde et surtout des gens intelligents. Alors, je me suis rasé, j’ai mis ma chemise blanche, et je suis sorti acheter une bouteille de vin histoire de ne pas arriver les mains vides, parce que ça va bien cinq minutes de faire le rebelle à deux balles. Je n’allais d’ailleurs pas tarder à m’apercevoir que j’étais de toute façon légèrement hors-sujet.

    En revenant de mes emplettes, j’ai croisé les premiers invités qui arrivaient : des gens classe, bien habillés quoique décontractés, ayant manifestement un métier d’un certain standing et une aisance sociale certaine. Surtout, des couples. Aïe. Quand on est seul… on connaît la chanson. Bon, bien se tenir. D’autant que je fus accueilli très cordialement par mes hôtes qui savaient manifestement s’y prendre. Je n’allais pas tarder à devoir réviser ironiquement et sérieusement mes certitudes : moi qui croyais avoir un biais russophile, je me rappelais ainsi peu à peu combien les Américains, et en particulier les New Yorkais, ont de l’entregent, du bagout, du savoir-faire pour mettre leurs interlocuteurs à l’aise, bref une expérience indubitable des relations sociales.

    Robert, le nouvel arrivant, a ainsi rapidement proposé de m’appeler par mon prénom. Moi qui n’ai rien contre un certain formalisme, je dus concéder que c’était une bonne idée. J’en profitais pour lui demander si Robert n’était pas aussi un nom de famille, et ce fut pour lui l’occasion de rappeler une anecdote, quand il avait voulu réserver une table dans un restaurant pour la première fois à Paris au nom de… Robert. Son interlocuteur lui avait alors demandé… son prénom : il avait failli répondre John, ce qui eut été le meilleur moyen pour lui d’avoir une table à coup sûr. Il ne le fit pas, ce qui ne l’empêcha pas d’avoir une table, et moi je me rappelais alors de l’acteur John Robert, qui joua notamment dans Wall Street, avec sa fameuse citation schopenhauerienne sur les chiens, ainsi que de son père Kirk, et du film Seuls sont les indomptés (Lonely are the Brave en v.o., un film de David Miller de 1962 : c’est que je n’ai pas seulement une expérience de cinéphile, mais aussi une telle expérience de la solitude que je vais finir par croire que je suis moi-même un indomptable – je préférai néanmoins garder cette réflexion par-devers moi).

    Me rappelant d’images d’actualités, je parlais plutôt de la météo et de la chance qu’avaient les New-Yorkais d’avoir souvent, pour ne pas dire toujours, de la neige à Noël. Le visage de Robert s’illumina d’un sourire, et il reconnut qu’ils avaient effectivement la chance d’avoir de vraies saisons, bien distinctes, avec parfois même des tempêtes de neige. Nous n’eûmes pas besoin de parler de l’arrière-saison, de l’automne en Nouvelle-Angleterre avec ses couleurs flamboyantes, nous étions nous-mêmes en plein été indien à Paris. Il me raconta ainsi la fois où il s’était retrouvé bloqué à JFK, abandonné par la compagnie, vol annulé, hôtels bondés… Moi qui étais prêt à dauber sur l’impéritie des autorités françaises quand tombe la neige dans ce cher et beau pays, je pus constater que les Américains ne faisaient pas toujours mieux. Avant de rejoindre pour les accueillir d’autres invités, il me confia qu’il avait grandi, non à Manhattan, dont il appréciait le « skyline », ce qui fait que la tour Montparnasse que nous apercevions depuis ses fenêtres ne le gênait pas trop, mais à la campagne dans l’État de New York… Alors, je me suis mis à penser à Lovecraft, le reclus de Providence dans le Rhode Island, et à ses récits parfois délirants, à ses cosmogonies fantasmagoriques, fondées sans doute sur la haine et la peur de l’autre, qui ne l’ont cependant pas empêché de devenir une des grandes figures de la littérature fantastique, mais aussi à Philip Roth, qui avait grandi à Newark, dans le New Jersey, et à sa retraite dans le Connecticut, fortune faite avec ses livres, retraite qui m’a toujours fait rêver de m’installer à Fontan, ou à Saorge, un de ces petits villages reculés, à défaut d’un monastère isolé, de la vallée de la Roya, derrière Nice, dans les montagnes, tout près du col de Tende et de l’Italie, pour écrire…

    En matière de retraite isolée, je préfère, et de loin, la vallée de la Roya, non loin de la Vallée des Merveilles avec ses gravures rupestres et préhistoriques, aux forêts de la grande banlieue parisienne, comme celle de Montmorency, chère à Jean-Jacques Rousseau.

    Quant aux écrivains new-yorkais, je m’aperçus que j’en connaissais quelques-uns, tel Paul Auster, Truman Capote, Tom Wolfe, ou Bret Easton Ellis, dont Beigbeder affirmait encore récemment et sans rire que c’était le dernier romantique… mais soit je les avais lus il y a longtemps, soit je n’accrochais plus.

    J’étais d’ailleurs accaparé par la vue sur Paris, différente de celle que j’ai depuis chez moi, un étage au-dessus, et les explications que me donnait Annabella, l’épouse de Robert : ici, la flèche de Saint-Germain-des-Près, là la tour Montparnasse qu’elle appréciait beaucoup moins que son mari. La vue sur Paris était tout aussi différente selon les étages que les goûts et les couleurs selon les individus. Ce qui ne changeait pas, c’étaient mes sensations de vertige face au vide.

    Regardant autour de moi, je me rendis compte que j’étais entouré d’ « happy few » et de jolies femmes élégamment vêtues. Menacé de timidité sociale et d’exil intérieur, je m’efforçai de me mêler à la conversation d’un groupe, portant sur la décoration d’appartement, et j’appris ainsi que l’une des jeunes femmes était architecte d’intérieur. Je devais par la suite constater qu’elle n’était pas la seule, et qu’il y avait beaucoup d’architectes d’intérieur dans cette soirée. Poursuivant la relecture ironique de mes certitudes, j’eus la désagréable surprise de m’apercevoir que mes préjugés sur la langue anglaise n’étaient pas sans conséquences : je ne comprenais pas un traître mot de ce qui se disait. J’avais beau faire des efforts et tendre l’oreille, je ne comprenais rien, si ce n’est que mes interlocuteurs parlaient « very fluently english » mais un anglais peu littéraire, avec peu, pour ne pas dire aucune citation de Shakespeare ou d’Oscar Wilde, alors je hochais la tête et tentais de sourire aux moments qui me semblaient opportuns, tout en sirotant le verre de champagne qu’un extra m’avait obligeamment servi, mais je n’entravais que dalle. Une jeune femme accompagnée par son mari m’apprit qu’elle-même faisait des efforts pour apprendre le français, mais que c’était difficile, surtout après l’âge de trente ans. Elle n’avait certainement pas lu La Femme de trente ans de Balzac, mais je me gardai bien de lui en faire reproche : je me souvenais de mes propres efforts laborieux pour apprendre la langue russe, et je ne pouvais qu’acquiescer, tout en lui faisant remarquer que si elle trouvait cette langue belle, ce serait un puissant facteur de motivation pour persévérer. Elle avait d’ailleurs des enfants qui apprenaient eux-mêmes le français, et qui ne manqueraient pas de l’aider. Puis elle retourna à la conversation sur la décoration d’intérieur qui, je l’avoue, m’intéressait modérément. Pour me distraire, j’eus alors l’idée d’observer la décoration de l’appartement dans lequel je me trouvais, qui accueillait cette soirée dans laquelle je ne connaissais personne quelques instants plus tôt.

    Il y avait un grand tableau qui me faisait penser aux Raboteurs de parquet (1875), de Gustave Caillebotte, occupant tout un mur derrière le canapé dans le fond du séjour. En m’approchant, j’eus la surprise de découvrir qu’il ne s’agissait pas d’une reproduction du tableau de Gustave Caillebotte, mais d’une relecture ironique, ou d’un détournement par un artiste contemporain et sans doute new-yorkais, avec un style en « lamelles », différent du style réaliste de l’original qui avait fait scandale à l’époque car jugé trop vulgaire – Fi donc ! une représentation du prolétariat urbain ! Je ne suis donc pas le seul à avoir des vapeurs quand j’entends ces mots – permettant d’insérer des « messages » ou des slogans en anglais. Je percevais bien l’intention ironique, mais le sens des messages me laissait perplexe : ça devait vouloir dire « Profitez de la vie, ça passe si vite », « Enjoy life », « Amusez-vous », etc… C’était quand même bien anodin.

    Ce qui l’était moins, c’était la différence entre ceux qui rabotent le parquet comme des esclaves, et ceux qui savent profiter de la vie en s’amusant, en faisant la fête, en étant heureux et en tâchant d’avoir le bonheur communicatif, comme en témoignaient les éclats de rire que j’entendais autour de moi.

    J’étais manifestement l’un d’entre eux puisque j’étais dans une fête en train de m’amuser, du moins étais-je censé le faire. Du reste, la distinction entre raboteurs de parquets et architectes d’intérieur, entre Damnés de la Terre et « Happy Few », est-elle vraiment si pertinente ? Les raboteurs de parquet n’ont-ils pas eux aussi leurs moments de joie ? Ne savent-ils pas eux aussi se moquer des bourgeois ?

    Quand des acteurs de cinéma ou de théâtre interprètent des exclus, des marginaux, des dirigeants d’entreprise, des politiciens véreux ou des chefs mafieux, qui sont-ils vraiment ? Les personnages qu’ils incarnent, les rôles qu’ils interprètent, ou eux-mêmes, acteurs le temps d’une représentation avant de regagner la sécurité de leur logis, qu’il soit calme ou agité, tourmenté ou d’une quiète sérénité ?

    Qui sommes-nous vraiment ? L’image que nous donnons de nous-mêmes ? L’image que nous en avons ? L’image que les autres ont de nous ? Ou existe-t-il un noyau d’identité, d’essence, irréfragable, incontestable, indubitable, indestructible ? Ne sommes-nous pas plutôt fragiles, de fragiles roseaux pensants, en proie au doute, à l’erreur, à la contestation, aux sentiments les plus variés, les plus ambivalents et les plus contradictoires ?

    Qui suis-je ? Un bourgeois ou un prolétaire ? Un lecteur de romans, d’essais, de bandes dessinées, un amateur de philosophie dure et exigeante, ou de métaphysique à deux balles ? Un cinéphile à qui cette soirée rappelait irrésistiblement les films de Woody Allen, non pas Meurtres mystérieux à Manhattan (1993) – on n’était pas à Manhattan, et il n’y avait pas de meurtre, si ce n’est la mise à mort de la certitude réconfortante de détenir la vérité, de la toute puissance de l’homme maître et possesseur de la nature, mais pas non plus Intérieurs (1978) ou September (1987), ces films trop cérébraux du génial intellectuel juif new-yorkais avec lesquels il rendait respectivement hommage à Bergman et à Tchekhov… Pétri de certitudes vacillantes, je poursuivais ma relecture ironique de celles-ci.

    J’aperçus un tableau dans le genre de Roy Lichtenstein, représentant deux femmes dénudées, l’une caressant l’autre dans une scène qui n’était pourtant pas d’amour saphique, mais un tableau avec des points : dans le genre pointilliste, je crois que je préfère encore Georges Seurat, Un dimanche après-midi sur l’Île de la Grande Jatte (1884-1886), pour être pointilleux. Quant aux scènes d’amour, qu’il soit lesbien ou pas, référons-nous à l’une des papesses du genre :

Rien n’est plus beau, dit l’un, qu’une imposante armée ;

L’autre : rien n’est plus beau qu’une escadre en plein vent.

Rien n’est plus beau pour moi que le cœur de l’aimée.

Chacun fait son choix et risque en le suivant

Des enfants, des parents, un nom, des biens quittés ;

Hélène pour Pâris fit brûler des cités.

Sappho de Lesbos.


    J’aperçus d’autres tableaux dans le vestibule, dont une représentation d’un palais de la République surmonté d’un drapeau tricolore, mais tout ondoyant, déstructuré, comme s’il était vu dans le reflet d’une flaque d’eau, et qui me donnait le mal de mer. Ainsi que l’affiche d’un tableau de Francis Bacon représentant un corps de femme désarticulé surmonté d’une tête de poule, et je me rappelais d’une citation de ce grand peintre du XXe siècle déclarant que nous sommes tous des carcasses de viande. Décidément, il n’y avait pas grand-chose de stable, j’avais besoin de parler à des gens en chair et en os. Je me joignis donc à un groupe de deux jeunes femmes qui discutaient à bâtons rompus. L’une était architecte d’intérieur, et m’informa qu’après avoir déménagé à Cancale, à côté du Mont-Saint-Michel, elle s’était achetée une voiture vingt ans après avoir passé son permis, ce que je pouvais comprendre car, ainsi que ma propre expérience me l’a appris, non seulement c’est indispensable en province, mais c’est un instrument de liberté individuelle. Les transports collectifs, que des pouvoirs publics décidément trop attentionnés voudraient nous faire préférer, c’est quand on n’a pas le choix. J’en sais quelque chose.

    Cancale… oui, c’est un pays d’huîtres, mais curieusement je pensais à autre chose. Il y avait beaucoup de gens ayant vécu à New York dans cette soirée, et la Normandie, c’est un peu le Long Island français, un lieu de villégiature privilégiée… un endroit qui me fait rêver mais où je me sentirais aussi déplacé qu’au Casino de Deauville ou au Grand Hôtel de Cabourg, même si je n’ai rien contre le luxe et le confort des palaces, si ce n’est que je n’ai pas les moyens. Un peu trop émolliente à la longue, la vie de palace ? Alors je me souviens d’avoir visité les plages du Débarquement ainsi que le cimetière militaire américain de Colleville, dans lequel je ne faisais pas le malin, une goutte de sueur froide me parcourant l’échine en regardant les tombes de tous ces jeunes soldats américains venus se faire tuer par la mitraille nazie pour que les Européens puissent vivre sur un continent libéré du joug de la tyrannie, de la barbarie et de l’oppression.

    Quand je revins à la réalité, je m’aperçus que mon interlocutrice de Cancale était ravissante avec ses lunettes rondes – femme à lunettes… femme à clarinette. Et une femme qui sait jouer de la clarinette, ça vous change la vie quand même -, tandis qu’elle parlait avec son amie de leurs enfants. Pour ne pas laisser dériver mon esprit vers de coupables pensées, en songeant à son soutien-gorge par exemple, dont la légèreté et la transparence diaphane auraient pu m’évoquer les ailes d’une libellule, ou des éphémères en vol stationnaire au-dessus d’une rivière par une chaude et orageuse soirée d’été, je décidai qu’il était temps pour moi de décrocher. Je me dirigeais vers le balcon où je retrouvais le premier invité que j’avais croisé en arrivant. Tandis que son épouse rentrait se chercher un blouson, il me fit observer qu’il n’y avait pas que la tour Montparnasse dans le ciel parisien… mais aussi Jupiter ! La planète Jupiter était visible dans le ciel, ainsi que quelques étoiles. Il y a bien longtemps que j’avais perdu l’habitude de lever les yeux vers le ciel espérant y trouver des étoiles. Mon interlocuteur m’expliqua alors que c’était effectivement miraculeux à Paris en raison de la pollution lumineuse, et qu’il avait plutôt l’habitude d’observer les étoiles l’été, pour passer le temps quand il naviguait sur son bateau et que c’était effectivement fabuleux : Cassiopée, les constellations…

    Plus embêtant et nettement moins poétique, la constellation des 4000 satellites qu’Elon Musk a envoyés dans l’espace, qui le polluent et empêchent les astronomes de voir les étoiles lointaines. Les Chinois s’y mettent parce qu’eux aussi ont des entreprises de télécoms et d’internet à bas prix nécessitant des relais ; il y aura là-haut bientôt un tel trafic qu’il faudrait un gendarme international pour mettre de l’ordre et éviter les collisions, or il n’y en a pas. Curieux…

    Il ajouta qu’avec tous ces satellites qu’il y a là-haut, tous ceux qui ont été lancés depuis les années 1950, et que dépassent en nombre les 4000 satellites de la constellation d’Elon Musk, quand il y a une collision, ça fait beaucoup de débris, et on ne sait pas trop ce qu’ils deviennent. Il y a ceux qui perdent leur vitesse de propulsion et qui se désintègrent quand ils s’enflamment en pénétrant dans l’atmosphère, et il y a ceux qui sont dangereux parce qu’avec leur vitesse même s’ils sont tout petits, ils peuvent endommager gravement les autres satellites ou même la station spatiale internationale, l’I.S.S.

    Que nous, à notre simple niveau de particuliers, nous ne sachions pas, c’est une chose ; mais que ceux qui ont lancé ces satellites ne sachent pas récupérer ces débris me paraît être un scandale inadmissible, une preuve d’incompétence flagrante de la part de soi-disant responsables surpayés qui ne comprennent rien et qui ne sont pas virés parce que ça ne se passe pas sous nos yeux, ce qui nous empêche d’exercer pleinement notre devoir de vigilance démocratique et citoyenne. Cela me faisait penser au scandale des batteries au lithium des voitures hybrides que les « responsables » politiques ne savent pas recycler alors qu’ils nous ont vendu ça comme un progrès de la lutte contre la pollution et pour la protection de l’environnement.

    Je dis donc à mon interlocuteur que personnellement je ne croyais pas beaucoup au tri sélectif et au petit geste qui consiste à jeter ses déchets dans le container de la bonne couleur, et que je me contentais de jeter les miens dans une poubelle traditionnelle, et que c’était déjà beaucoup.

    Il me répondit alors que le tri sélectif, c’était pourtant nécessaire, mais mollement, sans trop y croire, tout aussi conscient que moi que nos « responsables » politiques et nos élites nous racontent des bobards et qu’ils sont grassement rémunérés pour cela. Tandis que nous, nous serions tenus d’accepter toutes les couleuvres qu’on voudrait nous faire avaler ? Lui, il a ses raisons : il travaille dans les télécoms, et il admire les Chinois qui sont selon lui capables de réaliser des prouesses dans la compétition qui les oppose à Elon Musk sur la question des satellites lancés dans l’espace, sans avoir nécessairement besoin de copier les Occidentaux, ainsi qu’ils l’ont beaucoup fait par le passé pour s’approprier des technologies de pointe comme celle du train à grande vitesse.

    Quant à moi, en tant qu’esprit sceptique facilement soupçonnable de complotisme dans la mesure où je n’ai pas toutes les preuves scientifiques pour étayer mon scepticisme, je me sens un peu seul ; alors je ne me révolte pas. Je bous intérieurement, je rumine, en contemplant cette belle voûte étoilée au-dessus de nos têtes, en songeant à la banquise qui fond, et à la Ségolène qui quand elle était ambassadrice auprès des pingouins, s’est surtout illustrée par sa célérité à toucher son chèque. La petite comique des Deux-Sèvres est nettement moins amusante que ce génie d’Orson Welles qui, avec son célèbre canular radiophonique, avait réussi à faire croire à l’arrivée imminente des extraterrestres sur la Terre.

    Ensuite, nous avons parlé des récits d’anticipation qui imaginent ce que sera le futur de l’humanité quand la Terre sera arrivée en bout de course, et qu’il faudra coloniser une autre planète viable, peut-être Mars, peut-être une autre, pour permettre à l’humanité de poursuivre son aventure, avec les risques, non pas d’eugénisme, mais de sélection que cela comporte, car il semble évident qu’il sera impossible de faire voyager plus de sept milliards d’êtres humains vers une autre planète. Il sera également impossible de vivre sans des sortes de scaphandre, sur une planète qui sera forcément beaucoup plus hostile et bien moins accueillante que notre planète Terre. Qu’il nous paraissait loin le temps de notre jeunesse et des bandes dessinées qui imaginaient un futur radieux pour l’humanité ! Enfin, nous ne serons plus là pour voir ça. En attendant, c’est dans cette vie, dans cette société, sous l’autorité de gouvernements incompétents et d’élites corrompues qu’il faut tâcher de vivre et si possible d’être heureux.

    Mon interlocuteur me raconta qu’il y a plus de vingt ans, en 1999, à l’époque où j’étais moi-même en séjour linguistique à Malte, il était au Chili et il avait voulu voir le bout de la Patagonie.

La Terre de Feu, lui soufflai-je, car j’ai pris l’habitude de terminer les phrases quand mes interlocuteurs ont des trous de mémoire.

— C’est cela, me répondit-il. Il s’attendait à voir un spectacle magnifique et des paysages époustouflants, et il eut la désagréable surprise de constater que la plage était recouverte de sacs plastiques.

— Jusque dans ce paysage du bout du monde, me dit-il presque en gémissant car le souvenir d’avoir vu un spectacle aussi désolant semblait lui faire encore mal.

— Il n’y a pas d’Éden, répondis-je sentencieusement. Partout, l’homme a saccagé la planète.

— C’est exactement ça, me répondit-il.

    J’enchaînais en rappelant que l’ethnologue Claude Lévi-Strauss avait mis en garde les peuples primitifs contre la rencontre avec les Occidentaux qui ne pourrait que détruire leur mode de vie traditionnel. C’est ce qui s’est passé, de la même manière que nous n’avons pas écouté Heidegger quand il nous mettait en garde contre la volonté de puissance qui se cache derrière la technologie, nous n’avons pas écouté les prophètes réactionnaires qui nous mettaient en garde contre les maux de la modernité, préférant faire confiance aux démagogues médiatiques : nous sommes bien aliénés, et nous l’avons bien cherché.

    Ignorant ma remarque, il me parla des tourbillons de plastique qui tournoient au milieu de l’océan Pacifique.

— Des vortex, dis-je sur un ton scientifique.

    Il n’y a pas d’Éden et nous sommes tenus pour responsables de l’état dans lequel nous laisserons la planète aux générations futures, alors que les dirigeants, les puissants et les élites se comportent comme des enfants, avec des querelles de cour d’école.

    Sa compagne l’ayant rejoint, il rentra avec elle dans le séjour, et je les suivis pour aller m’asseoir sur le canapé car j’étais un peu fatigué. À nouveau réfugié dans mon exil intérieur, j’avais des rires nerveux en pensant à mon oncle qui se serait senti encore plus déplacé au milieu de ces « happy few », à Enrique Vila-Matas et à son livre Paris ne finit jamais, dans lequel il se prend pour Hemingway en ne cessant d’avoir des relectures ironiques de ses propres certitudes à l’égard de la réalité, ainsi qu’à Stanley Kubrick, ce grand cinéaste misanthrope qui n’avait pu réaliser son film sur Napoléon malgré l’abondante documentation qu’il avait réunie à son sujet.

    Les gens riaient et discutaient, ils me paraissaient si loin et si proches, je me disais que je ne me serais pas senti plus étranger au milieu des Indiens d’Amazonie, des paysans de mon village, et je me faisais l’effet d’être un drôle d’ethnologue, un drôle d’humoriste, un drôle d’intellectuel critique.

    J’en étais là de mes réflexions quand Robert, le maître de maison, prit le micro. Son frère ayant retrouvé la collection de vinyles qu’il croyait avoir perdue dans un déménagement il y a vingt ans, il avait demandé à ses amis d’apporter des disques pour étrenner sa nouvelle platine derrière laquelle chacun se prendrait pour un DJ le temps de mettre un disque pour faire danser les autres. C’est là que je m’aperçus que j’étais légèrement hors sujet avec la bouteille de vin que j’avais amenée et qui ne fait pas nécessairement bon ménage avec le matériel hi-fi haut de gamme. C’était quand même un Bordeaux grand cru.

    Les invités se prêtèrent au jeu, et des rythmes de soul, de funk, de groove, d’électro, des titres des Bee Gees, des Rolling Stones, de Bob Marley, des Grateful Deads se succédèrent.

    Je me disais que les gens avaient décidément le rythme dans la peau, certains couples dansaient très bien.

    Conscient de mes limites et de ma peur du ridicule, celle-là même qui fait faire des choses encore plus ridicules, je restais sur mon canapé, et c’est alors que le miracle se produisit : une jeune femme vint me prendre par les mains avec un sourire aux lèvres pour m’attirer vers le milieu du salon et danser avec elle. Nous posâmes nos verres et je la suivis, secouant ma gaucherie ; j’eus alors la joie de la voir souriante, radieuse, presque épanouie, tandis que je la faisais virevolter sur elle-même en tentant de suivre ses pas de danse mieux assurés. Il me semblait que j’étais heureux, pouvant enfin m’oublier un peu moi-même. C’était la première fois qu’une jeune femme m’invitait à danser depuis longtemps. Euh… Très longtemps. Je me souviens du titre d’un livre de Norman Mailer de 1984 qu’il a lui-même adapté au cinéma, Les vrais durs ne dansent pas : eh bien, je ne suis pas un vrai dur.

    Quand la musique s’arrêta, je la remerciai de m’avoir invité, et elle me répondit en me remerciant à son tour. Je m’écartai pour reprendre mes esprits et me désaltérer avec un verre rempli d’eau gazeuse à la place du champagne que je buvais précédemment, puis je me réfugiai aux toilettes car j’étais extrêmement nerveux.

— Ne fais pas le con. Pour une fois, ne fais pas le con, me disais-je en me regardant dans la glace. Mon Dieu, aide-moi ! Il n’est pas vrai que je sois un écrivain ; il y a bien sûr tous ces textes que j’ai écrits dans lesquels je raconte des bêtises dans un style alambiqué pour essayer d’être drôle, mais il y a la réalité aussi. Cette jeune femme qui t’a invité à danser, elle est réelle. Ne fais pas le con.

    Je suis ressorti. Les gens continuaient à danser et elle aussi. Je la regardais de loin, et tentais de lui sourire quand nos regards se croisaient, et elle aussi me souriait. À un moment, nous nous sommes rapprochés pour discuter. J’appris ainsi qu’elle aussi était architecte d’intérieur et qu’elle aimait bien discuter avec des gens comme nos hôtes, parce que c’étaient de gens de goût. Je me disais que ce n’était pas leur seule qualité.

    Je lui ai demandé si son rôle ne consistait pas à faire preuve d’esprit critique, elle m’a répondu qu’elle devait surtout être à l’écoute de ses clients.

— Mais votre expérience doit vous servir à être force de proposition, objectai-je.

— Exactement, répondit-elle, mais toujours en accord avec les souhaits des clients.

— Et si vous deviez refaire la décoration de cet appartement ? demandai-je.

— Ce n’est pas moi qui ai été chargée de faire la décoration de cet appartement. Ce sont mes amis.

— D’accord, mais si vous deviez apporter des modifications à cet appartement ? Que pensez-vous des moulures au plafond, par exemple ? Ne les trouvez-vous pas un peu kitsch ?

— Pas du tout. Elles sont anciennes, elles ont du cachet. S’il y avait quelque chose à changer, je ferais installer des volets entiers parce qu’en l’état, ils laissent passer la lumière du soleil.

    J’acquiesçai. J’appris également qu’elle habitait sur la colline de Montmartre, et je crus comprendre que c’était vers la place Pecqueur, car quand je lui parlai de la place Marcel Aymé et de la statue de Dalida, elle me répondit qu’elle appréciait ce quartier à l’écart des touristes de la place du Tertre, vers l’avenue Junot. Je notai qu’elle avait un petit accent assez sympathique mais que je n’arrivai pas à identifier. Je pris son verre pour aller le remplir d’eau gazeuse à la cuisine. Quand je revins, elle s’était remise à danser. Je la regardai de loin, appuyé sur le radiateur du séjour, puis j’allai faire un tour sur le balcon.

Cette tête que tu as, me disais-je… Il faut vivre avec. J’en profitais pour regarder les étoiles dans le ciel parisien.

    Quand je retournai dans le séjour, les invités commençaient à partir. Quant à elle, elle dansait avec un homme sûr de lui, sans doute un ami de longue date. D’après ce que j’avais compris, ils se connaissaient tous plus ou moins, tous plus ou moins amis. J’étais un intrus, je n’en étais pas moins jaloux. Quand ils dansèrent un slow, j’aurais voulu être celui qui la tenait dans ses bras. Alors, je pensai à Leopardi, ce philosophe du début du XIXe siècle qui a écrit : « Avec le monde comme avec les femmes, il faut faire le vide autour de soi. » Ce qui est plus facile à écrire qu’à faire, car ça ne manque pas d’une certaine violence. Il a également écrit : « Avec les femmes comme avec les hommes, on ne réussira jamais et l’on ira d’échec en échec, si l’on brûle d’un amour sincère et passionné et si l’on se montre prêt à tous les sacrifices. Car le monde, comme les femmes, appartient à celui qui les séduit, jouit de lui et lui fait outrage. » Leopardi était un grand philosophe, doté d’une grande expérience de la vie, il est simplement dommage que je ne lui sois pas resté fidèle pour m’approprier sa sagesse. Il s’agit maintenant de rester calme : je décidai donc de regarder ailleurs, pour ne pas me montrer inconvenant, ni insistant.

    Quand ils se séparèrent, la jeune femme me fit signe qu’elle attendait pour prendre congé de la maîtresse de maison. Je m’approchai pour lui demander comment elle comptait rentrer, elle me répondit qu’elle pensait utiliser le métro. Je regardai ma montre et constatai qu’il était déjà deux heures.

— Le métro est fermé, en fait, fis-je.

— Il reste les taxis, répondit-elle.

— Bon, conclus-je.

    Enfin, nous pûmes prendre congé et remercier nos hôtes pour cette charmante soirée, où j’avais appris des choses passionnantes même si je m’étais parfois senti déplacé. Nous descendîmes par l’escalier. J’appris qu’elle avait offert un disque de jazz des années 2000, pour moi quelque chose de très récent et d’inconnu. Mes connaissances en jazz s’arrêtaient à Diana Krall et aux années 1990. Sinon, c’était plutôt John Coltrane, Dizzie Gillespie, Duke Ellington. Et toute ma collection de cd, avec une préférence pour Miles, qui composa la bande originale d’Ascenseur pour l’échafaud.

— Les classiques, me dit-elle avec une moue.

— Oui, en effet, haussai-je les sourcils. Et in petto : C’est très bien, les classiques. Qu’est-ce que c’est que ce besoin de nouveauté, d’improvisation… Est-ce que j’improvise, moi ?

    Arrivés à la station de taxi, nous constatâmes qu’il n’y en avait pas.

— Alors, on marche ! décida-t-elle.

    Je lui emboîtai le pas. Pour une fois que je pouvais raccompagner une jeune femme jusque chez elle en tout bien tout honneur, je n’allai quand même pas bouder mon plaisir. Je lui demandai où elle avait fait ses études d’architecture d’intérieur.

— J’ai commencé à Cracovie…

— Vous êtes d’origine polonaise, alors !

— Oui, en effet.

—Vous connaissez donc Gombrowicz ?

    Elle me regarda et son visage s’illumina.

— En effet, mais vous, comment le connaissez-vous ?

— Par le théâtre. Vous savez qu’à Paris, il y a la Comédie-Française, le temple du répertoire classique, la maison de Molière, de Racine, de Corneille. Mais il y a aussi d’autres théâtres subventionnés qui essaient de faire découvrir une programmation exigeante et anticonformiste, les pièces d’auteurs récents ou anciens, animés par un souci de subversion : la Colline, la Commune à Aubervilliers, les Amandiers à Nanterre. Quand j’étais jeune, ma mère m’emmenait dans ces théâtres, et c’est ainsi que j’ai découvert Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz, au théâtre de la Colline, derrière le Père-Lachaise, en 1998. J’avais adoré son humour corrosif.

    Elle prit un air pensif. Elle me confia qu’elle alternait la lecture de romans en français, en polonais, en anglais, pour entretenir sa connaissance des langues. Elle venait de terminer Le premier homme, d’Albert Camus qu’elle avait beaucoup aimé. Albert Camus, je me souvenais de ce philosophe… Il en a écrit des pages et des livres, mais il a écrit en particulier cette phrase : « Il est plus difficile de vivre ses contradictions que de mourir. » C’est pour ça que je refuse toujours aussi obstinément, et à la grande surprise de mes contemporains, de me supprimer, quand bien même ce ne sont pas les raisons qui me manquent. Je lui confiai que moi, les romans, par exemple ceux de Gombrowicz, je connaissais surtout les titres, je ne les lisais jamais en entier. Elle ne releva pas et m’indiqua qu’elle aimait bien se promener dans le cimetière de Montmartre, dans lequel elle avait remarqué beaucoup de noms polonais sur les tombes. C’étaient les noms des membres de la diaspora qui avaient cherché à échapper aux persécutions du régime communiste.

— Vous savez, mes parents, ma famille, nous avons des origines aristocratiques… me confia-t-elle.

— Vous êtes une aristocrate ! ne pus-je m’empêcher de m’exclamer.

Après un temps, je lui parlai du cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois qui était la plus grande nécropole orthodoxe d’Europe.

— Où est-ce ? me demanda-t-elle.

— Derrière Juvisy, Savigny-sur-Orge, sur la ligne C du RER. Dans ce cimetière, il y a des tombes de l’émigration blanche d’après la Révolution de 1917. Il y a aussi des tombes d’artistes, comme celle de Rudolf Noureev. Sa tombe est un vrai chef-d’œuvre, comme celle d’Oscar Wilde au Père-Lachaise. Je vous conseille d’aller la voir.

— Rudolf Noureev, c’était un grand danseur.

— Oui, il a réalisé une mise en scène particulièrement novatrice, d’inspiration freudienne, du Lac des Cygnes de Tchaïkovski quand il était directeur de l’Opéra de Paris.

— C’était aussi un homme doté… comment dire ? D’une grande libido.

Manifestement, elle n’appréciait pas ce détail. Elle poursuivit :

— C’était aussi un artiste qui a fui les persécutions du régime communiste.

    Je crus bon de préciser pourquoi je m’étais intéressé à des artistes comme Noureev et Tchaïkovski.

— Vous savez, j’ai essayé d’apprendre une langue qui représentait pour moi l’altérité radicale. Ça ne va peut-être pas vous plaire, parce que ce n’est pas le grand amour entre les Russes et les Polonais, mais j’ai essayé d’apprendre la langue russe. J’en ai bavé sur la grammaire : les cas, les déclinaisons, les aspects des verbes, le perfectif, l’imperfectif… ensuite, je me suis inscrit dans une association, mais je n’y ai rien appris que je n’aie appris tout seul dans mes manuels. Récemment, je m’y suis remis, j’ai copié puis traduit La Cerisaie de Tchekhov, avec l’aide d’internet et de Google Trad., qui est vraiment un pauvre instrument, ce qui fait que ma traduction est approximative, et pourtant je suis fier de moi. La Cerisaie de Tchekhov, ça me parle, pour des raisons personnelles et familiales. Mais apprendre le russe, ça m’a surtout permis de comprendre pourquoi les Russes avaient des facilités pour apprendre les langues occidentales. Quand on a été confronté à l’alphabet cyrillique et à la grammaire russe dans sa jeunesse, cela simplifie bien des choses par la suite.

— Vous avez raison. Mais je n’aime pas trop les écrivains russes. Je les trouve trop complaisants à l’égard du régime communiste, comme s’ils tenaient à s’excuser.

— Vous oubliez les écrivains russes d’avant la Révolution, objectai-je, Dostoïevski, Gogol, peu suspects de complaisance envers le communisme.

— Oh, vous savez, Gogol…

— Il était réactionnaire, me sentis-je obligé de préciser alors que moi je ne trouve pas du tout que ce soit un défaut.

— Exactement.

— C’est parce qu’il avait un esprit très religieux, repris-je. Ça ne l’empêchait pas d’être un très grand satiriste des mœurs de son époque. Le personnage de Khlestakov, dans Le Revizor, est un gandin de la ville, qui ne sait pas faire grand-chose, qui croit de son devoir d’élever le niveau du débat, et devant lequel les notables de province se prosternent parce que la gestion de leurs administrations respectives est truffée de malversations et qu’ils le prennent pour l’Inspecteur Général. C’est un personnage qui m’inspire beaucoup de sympathie, et j’éprouve la plus grande admiration pour Nicolaï Gogol.

    Même les écrivains d’après la Révolution, comme Nicolaï Erdman, avec sa pièce Le Suicidé, écrite dans les années 1920, mais qui n’a été jouée que dans les années 1960 à cause de la censure, ont produit des charges violentes contre le communisme, dépourvues de complaisance.

— Vous avez peut-être raison. Mais je ne connais pas, en fait. Je vais vous raconter une anecdote à propos de mes parents. Mon père a joué aux cartes avec Gombrowicz. Ils ont joué des terres, des territoires. Et mon père a gagné, c’est ainsi qu’il a reçu des terres appartenant à la famille de Gombrowicz.

— Ça alors ! Ça, c’est extraordinaire ! Quel panache ! C’est… c’est tellement aristocratique ! Comme les Russes qui jettent leur verre après avoir bu de la vodka. Tout dans le geste, dans la beauté du geste gratuit.

— Oui, les Polonais sont un peu comme ça. Et sinon, quelles ont été vos études ?

— J’ai fréquenté l’Institut d’Études Politiques à Aix-en-Provence. Pour étudier la science politique, entre autres.

— Ah, la politique ! On ne va pas parler de ça.

— Il est vrai que ça ne fait que semer la discorde entre les gens et dans les familles. Tout ça parce que les politiciens ne savent pas médiatiser, ni faire la pédagogie sur les sujets sensibles, alors que c’est leur métier. On a déjà commencé, notez, quand vous avez mentionné votre aversion pour le communisme… Remarquez que moi, c’est la science politique que j’ai étudiée. La science politique essaie d’établir une critique rationnelle de la politique, de sa pratique, de ses discours, aussi bien les éléments de langage de la pensée dominante que ceux des extrêmes.

    Cela dit, j’ai aussi été un citoyen avec des droits civiques. Aujourd’hui, je ne vote plus parce que je considère que ça ne change rien, cependant à l’époque où je votais, je préférais quelqu’un comme François Hollande qui a cherché à rassembler les Français plutôt qu’à les diviser, au contraire du Sarko à talonnettes et de Micron. Mais la social-démocratie réformiste et responsable a été enterrée par la Realpolitik. Ça m’ennuie de le reconnaître, mais pour réformer ce pays, il faut un vrai chef. Et comme je refuse de voter pour les extrêmes, même si ça correspond à mes idées, je ne vote plus.

— Moi, je vais voter aux prochaines élections parlementaires polonaises qui se tiennent cet automne. Je crois qu’il est possible de changer les choses, de les améliorer dans le sens d’un progressisme prudent et responsable.

    Nous étions sur l’esplanade des Invalides, et nous passions devant l’ambassade de Pologne. Elle me la désigna :

— Je dois reconnaître que pour obtenir des papiers en France pour voter depuis l’étranger pour les élections dans son pays, ce n’est pas évident. Il m’a fallu trois ans pour obtenir ces papiers. Je n’aurai jamais imaginé que cela prît tant de temps.

— Vous pensiez que l’enfer bureaucratique n’existait que dans les romans de Kafka et vous avez découvert la bureaucratie française.

— Exactement. D’une certaine manière, la France est un des derniers pays socialistes d’Europe.

    Je ne pus m’empêcher de ricaner, puis je réfléchis. Moi aussi, j’avais cru au socialisme à visage humain.

— Vous savez, il y a eu un Parti Communiste intelligent en Europe, c’est-à-dire non inféodé à Moscou. C’était dans les années 1970, en Italie, le P.C.I., pour mettre fin à trente ans de domination de la Démocratie chrétienne, a échafaudé une stratégie de compromis historique. Mais ce qui a manqué à Enrico Berlinguer, grand homme d’État italien et visionnaire, soucieux de réformer son pays pour le bien de ses concitoyens, ce sont des institutions qui lui auraient permis d’agir. Les institutions italiennes sont comparables à celles des IIIe et IVe Républiques en France. Il s’agit d’un régime d’assemblée qui favorise les combinazione et les tractations de partis, et qui enserre un homme d’État courageux et soucieux de l’intérêt général dans un tel étau qu’il n’a plus la liberté d’agir. Bien sûr que Micron est un homme d’État, même si ça m’écœure de le reconnaître. Mais il ne faut pas oublier que s’il peut imposer aux Français des réformes inspirées par un souci de justice sociale, c’est parce qu’il bénéficie des institutions de la Ve République que le général De Gaulle a laissé à ses successeurs, parce qu’il souhaitait un État fort et un pouvoir exécutif fort, capables de passer outre les blocages parlementaires.

    L’Italie, elle, a des institutions faibles et un État faible. Pour lutter contre les maux de la société italienne, il faut des hommes au courage exceptionnel, capables de se sacrifier pour ce qu’ils croient juste, comme le juge Giovanni Falcone dans sa lutte contre la mafia, ou Enrico Berlinguer, même si ce dernier n’a pas pu aller au bout de son projet de réforme de la société italienne. Pour les hommes ordinaires en revanche, comme les chefs d’entreprise du Mezzogiorno, confrontés au chantage de la mafia, ce n’est pas évident. L’État italien ne protège qu’imparfaitement ses citoyens, et certains acceptent de payer le « pizzo » pour ne pas avoir d’histoires avec la mafia.

    Elle acquiesça. Mais ce n’est pas le sort de l’Italie qui l’intéressait. Elle avait à cœur de défendre l’honneur des Polonais. Elle m’en avait déjà donné un aperçu quand je lui avais demandé où elle avait poursuivi ses études après Cracovie.

— Au Bauhaus, m’avait-elle répondu.

— Ah oui, cette école d’art et d’architecture fondée par Walter Gropius, fréquentée par de nombreux artistes, tel Paul Klee par exemple. J’avais beaucoup aimé une exposition qui lui avait été consacrée à Beaubourg, en 2016. Je me souviens d’un tableau en particulier, Insulata Dulcamara, achevé en 1938. Je crois aussi me souvenir que cet artiste m’avait d’abord intrigué, ce qui m’avait conduit à l’admirer, parce qu’il dénonçait le rétrécissement de la vie intérieure, le rationalisme industriel, le productivisme, l’aliénation du travail à la chaîne, ainsi que les dogmes du Bauhaus. C’est un artiste qui s’est intéressé aux moyens d’expression des fous et des enfants. Enfin, « fous », entendons-nous bien : ceux qui sont considérés comme fous parce qu’ils se sentent rejetés par le mode de vie dominant et le conformisme de la distinction entre normaux et anormaux. C’est un artiste qui s’est battu contre cette frontière érigée entre les normaux et les soi-disant anormaux. C’était courageux, la preuve en est que son art a été considéré comme dégénéré par les nazis, et ses œuvres traitées en conséquence. En revanche, je ne me souviens plus où se trouve cette école du Bauhaus ?

— À Weimar, m’avait-elle dit. Vous savez, ce n’était pas facile pour nous les Polonais. Nous étions traités comme des étrangers et pas forcément vus d’un très bon œil.

— Oui, j’imagine. Rien que le fait d’être un Parisien dans un petit village à la campagne, ou un provincial à Paris, on est regardé avec suspicion. Dès qu’on s’éloigne de ses racines, à moins d’être un touriste fortuné, il faut faire attention.

— Peut-être, mais la République de Weimar, c’est encore autre chose. Dès que la politique s’en mêle…

— Quand la politique s’en mêle, c’est dangereux, reconnus-je, mais la République de Weimar, c’est tout de même une expérience démocratique.

— Vous êtes sûr ?

— Oui. Ses dirigeants n’étaient pas tous sociaux-démocrates mais la plupart étaient soucieux de progrès social et d’apaisement. Gustav Stresemann, par exemple, qui fut chancelier en 1923 puis ministre des Affaires Étrangères, fonda le Parti populaire allemand, mais il fut surtout l’artisan, avec Aristide Briand, d’un rapprochement franco-allemand qui leur valut à tous les deux d’être couronnés par le prix Nobel de la Paix en 1926. Les causes de l’arrivée au pouvoir de Hitler en 1933 sont ailleurs : d’abord, l’armistice de 1918 qui, selon les historiens, a été signé trop tôt : alors que Joffre voulait poursuivre la guerre jusqu’à Berlin et écraser l’armée allemande, c’est Clémenceau qui a décidé de conclure l’armistice le 11 novembre 1918. Il considérait qu’il y avait eu suffisamment de morts comme ça, mais une des conséquences, c’est que les généraux pangermanistes sont restés à la tête de l’État-major, et qu’ils ont exercé un contre-pouvoir permanent face aux dirigeants de la République de Weimar, en attisant et en jouant sur le ressentiment du peuple allemand. Et la cause initiale de ce ressentiment, ce sont les clauses particulièrement sévères imposées par le traité de Versailles au titre des dommages de guerre, réclamés par les Alliés, et en particulier par la France. Mais la République de Weimar a été un régime plutôt démocratique.

    Elle avait été vaguement convaincue par ce raisonnement. Elle put donc continuer à développer son propre point de vue.

— Vous savez, la Pologne aussi se méfie de la France et de la Grande-Bretagne, surtout depuis qu’elle a été abandonnée au début de la Seconde Guerre mondiale.

— Ce n’est pas tout à fait exact, c’est la Tchécoslovaquie qui a été abandonnée à Munich en 1938. Quand la Pologne a été envahie, la France et l’Angleterre ont déclaré la guerre à l’Allemagne de Hitler.

— Mais il y a eu cette drôle de guerre, cette période d’attente lors de laquelle les Alliés n’ont pas attaqué alors que l’Allemagne n’était pas encore prête.

    Elle ajouta :

— La Pologne a toujours été prise entre ces deux grandes puissances que sont l’Allemagne et la Russie. Et il y a eu ce pacte Ribbentrop-Molotov qui prévoyait de se partager la Pologne.

Elle voulait dire que les Polonais avaient de bonnes raisons d’être, sinon paranoïaques, tout au moins très méfiants à l’égard des Occidentaux. Je n’avais aucune envie de la contredire. Il n’y a pas si longtemps, c’est moi qui avais fait le devoir de géopolitique de la fille de ma cousine sur la ligne Oder-Neisse. Un des problèmes de la Pologne avec l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, c’est que la frontière n’a pas été entérinée par un traité de paix définitif, traité qui avait été prévu par la conférence de Postdam de 1945 mais qui n’a jamais vu le jour ; la ligne Oder-Neisse a simplement été reconnue comme frontière par les accords de Görlitz de 1950 entre la R.D.A et la Pologne, et comme c’était la R.D.A, les Occidentaux se sont empressés de dénoncer, de condamner, c’est-à-dire de mépriser ce traité, dont la R.F.A n’a cessé de réclamer la révision jusqu’au traité de Varsovie de 1970. C’est ce que je tâchai de lui expliquer.

— Vous savez cela ! s’exclama-t-elle, pour une fois.

— Oui, je sais cela, ne pus-je m’empêcher de me rengorger. Ainsi que deux-trois autres petites choses, quand même…

    Après un temps de réflexion, elle tint à me faire savoir que les Polonais n’étaient pas particulièrement égoïstes. Cela me paraissait évident, mais cela fait partie des choses qui vont mieux en le disant.

— Non, la Pologne n’est pas plus égoïste que les autres, dis-je en conséquence. Tous les pays le sont. D’ailleurs, l’Allemagne qui donne volontiers des leçons de morale aux autres ne se prive pas de l’être : face aux provocations de Trump, elle préfère conserver les débouchés commerciaux pour les voitures allemandes aux États-Unis plutôt que de se mettre à la tête, ou simplement d’adhérer à un front européen uni, ferme et résolu en jouant la carte de la solidarité européenne. Tous les États européens parlent volontiers de solidarité, mais dans la pratique… En tout cas, la Pologne est bien loin d’être la seule. Et même à l’échelle individuelle, une bonne dose d’égoïsme ne peut pas faire de mal. Ça n’a rien d’anormal de penser à ses propres intérêts.

    Nous étions sur le boulevard des Capucines. Un homme m’aborda pour me demander de lui payer un Uber pour rentrer chez lui, à Torcy, où il habitait chez sa mère.

— Enfin ! lui répondis-je. Je ne m’en paie pas pour moi ! Je n’en paie pas à la demoiselle qui m’accompagne ! Nous marchons !

— Je le vois bien. Aidez-moi dans la mesure où vous le pouvez.

    Je cherchai dans mon porte-monnaie, trouvai un billet de dix euros et le lui donnai. Il ne prit pas la peine de me remercier.

— C’est parce que j’étais là, me dit la jeune femme après nous être éloignés de quelques pas. Il en a profité, en jouant sur un ressort psychologique classique et votre peur de paraître mesquin aux yeux d’une femme.

    Soulagé par sa perspicacité, je n’eus pas à m’en vouloir de m’être fait avoir une fois de plus et je pus me montrer bon prince.

— Disons que ça m’a fait plaisir de me montrer généreux en votre présence et n’en parlons plus.

— Vous êtes quelqu’un de gentil, me dit-elle. Et nous poursuivîmes notre conversation à bâtons rompus. Nous parlâmes d’argent.

— De défaite en défaite, de compromission en compromission, on finit par perdre son âme. Il est bien difficile de conserver son intégrité dans la société capitaliste. C’est le capitalisme qu’il faut abattre, me dit-elle.

— Certes, lui répondis-je. Mais vous, vous ne vivez pas de pain sec et d’eau fraîche. Avec votre métier d’architecte d’intérieur, vous avez besoin de clients. Vous ne pouvez pas vous en passer. Et vous devez vous adapter à leurs desiderata, à leurs souhaits particuliers. C’est cela, votre métier. On peut bien dire que le capitalisme, c’est le Mal dans l’absolu. Sans compter qu’ayant dit cela, on n’a pas dit grand-chose, vu qu’on pourrait dire la même chose du communisme… Alors il y a l’absolu et il y a la pratique : dans la pratique, ceux qui ont un métier de type commercial comme vous ont besoin de clients. Il vous faut bien faire des concessions. Si c’est l’argent qui corrompt les relations interindividuelles, il en faut toutefois pour vivre. « On meurt avec du génie et on mange avec de l’argent », avait dit le père de Cézanne à son fils.

    Nous étions dans la Chaussée d’Antin. Je lui parlais alors de ce court-métrage de Claude Lelouch, intitulé C’était un rendez-vous, où l’on voit une voiture filer à toute allure dans les rues de Paris depuis la porte Dauphine, remonter l’avenue Foch, les Champs-Élysées, le quai des Tuileries, les guichets du Louvre, l’avenue de l’Opéra, s’engouffrer dans la rue Pigalle dans laquelle la voiture double un camion d’éboueurs en montant sur le trottoir, emprunter le boulevard de Clichy, la rue Caulaincourt, l’avenue Junot, se dirigeant vers le Sacré-Cœur, au pied duquel le conducteur descend de sa voiture pour aller prendre dans ses bras la jeune femme qui l’attendait. C’était un rendez-vous. Évidemment, Lelouch avait tourné ce court-métrage un dimanche matin, quand les rues de Paris sont désertes, il y a cinquante ans, alors que tout n’était pas interdit comme aujourd’hui, même s’il a eu des ennuis. C’était quand même beaucoup mieux avant.

— Il n’a pas été candidat à l’élection présidentielle ?

— Vous confondez avec Coluche. Lelouch, c’était un réalisateur de cinéma.

— Vous êtes sûr que vous ne voulez pas que je vous paie un taxi pour le retour ?

— Pas après ce que nous venons de dire sur l’intégrité. N’oubliez pas : c’est l’argent qui pervertit les relations interindividuelles.

    Nous arrivions en vue de la place Pigalle, et le quartier était encore animé à cette heure avancée de la nuit.

— C’est quand même mieux d’être un homme, me dit-elle.

— Pourquoi dites-vous ça ? Je trouve que vous vous débrouillez très bien. Vous avez marché à vive allure, je n’ai pas eu à vous attendre, nous avons tous les deux bien marché, sur un pied d’égalité.

— Vous savez, pour une femme, ce n’est pas toujours évident. Il faut faire attention. C’est toujours mieux d’être accompagnée. Et vous avez été très gentil.

    Cette histoire de gentillesse commençait à m’agacer mais je ne dis rien. On me l’a souvent dit que j’étais gentil, mais c’est parce que je ne pouvais pas faire autrement. Les gentils, on leur marche sur les pieds. Pour se faire respecter, il faut être un salaud ou un méchant. Encore faut-il en avoir les moyens. Ce n’est donc pas seulement par gentillesse que je l’avais raccompagnée, mais pour profiter de la conversation d’une femme intelligente. Nous arrivions à son domicile. Contrairement à ce que je croyais, ce n’était pas dans la partie calme de Montmartre, du côté de l’avenue Junot et de la place Pecqueur, mais à proximité de Pigalle, en plein quartier chaud. Je commençais à comprendre ce qu’elle venait de me dire.

— Vous êtes sûr que vous ne voulez pas que je vous paie le taxi pour rentrer ?

— Oui, j’en suis sûr.

— Alors, au revoir. Merci pour la promenade. On se reverra peut-être.

— Oui, peut-être. Je vous remercie également pour la conversation, et je vous souhaite une bonne nuit.

    Je me mis à redescendre vers la Trinité et l’Opéra. Qu’y avait-il d’autre à dire ? Peut-être ceci : la philosophie politique, la science politique, c’est bien joli et très utile certainement. Mais une définition de la démocratie que j’aime bien, c’est qu’on est en démocratie quand les femmes et les enfants rigolent. Quand une jolie femme intelligente a le cœur à rire, parce qu’elle se sent libre et l’esprit léger. Parce qu’un homme lui aurait dit, par exemple, que les jolies femmes au visage intelligent sont rigoureusement indispensables à l’écosystème de cette société pourrie et de ce monde en perdition. Je ne le lui ai pas dit. Il est vrai que c’est une généralité. Ce sera peut-être pour une prochaine fois.

    Mon père peut être fier de moi. Oh certes, il a beaucoup admiré Micron petit-patapon. L’État, c’est lui, et il laissera son nom dans l’Histoire, celle qui broie des vies, parce que les tragédies, ce sont les hommes de pouvoir qui en sont les premiers responsables, même s’ils trouvent toujours le moyen de se dédouaner. Quant à moi, je suis celui qui raccompagne les jeunes femmes intelligentes, avec du tempérament, jusque chez elles. Il n’en a pas toujours été ainsi. J’aurai été un drôle de philosophe péripatéticien, un homme ondoyant et divers.

    Face au square de la Trinité, je me suis rappelé d’une scène des 400 Coups de François Truffaut.

    Sur l’esplanade des Invalides, contrairement à l’aller où j’étais accaparé par la conversation avec la demoiselle, j’ai pu me poser. J’ai pu regarder l’hôtel des Invalides. Et je me suis souvenu d’un tableau que j’avais vu à la galerie d’art moderne de Milan, un tableau signé du peintre italien Giuseppe De Nittis (1846-1884), intitulé Place des Invalides et datant de 1880. La perspective du tableau m’avait paru étrange et déroutante à l’époque. Novatrice et originale, en fait. Là, comme il faisait nuit et que j’étais pressé de rentrer chez moi, je ne me suis pas arrêté. Et je me suis souvenu de quelques vers de Pouchkine :

Я вас любил : любовь ещё, быть может,

В душе моей угасла не совсем;

Но пусть она вас больше не тревожит;

Я не хочу печалить вас ничем.

Я вас любил безмолвно, безнадежно,

То робостью, то ревностью томим;

Я вас любил так искренно, так нежно,

Как дай вам бог любимой быть другим.


    Enfin, avenue de Breteuil, parce que j’avais besoin de m’ouvrir les bronches, je me suis mis à chanter et à siffler Katioucha, une chanson sentimentale russe. Un jeune, assis sur un banc avec son copain à la ramasse, m’a demandé hilare si c’était les Quatre Saisons de Beethoven. Ah, ces jeunes ! plus ils sont ignorants, et plus je les envie. Celui-là m’a bien fait rire pourtant. La condition du bonheur, c’est de ne rien savoir. Mais cela, ils ne le savent pas encore.


Octobre 2023.

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