Loin de Nogent.

Parodie de Loin de Reuil, de Raymond Queneau.

    Gontran de Nogent n’est pas content. Il voudrait que le rêve le détende d’un bref intermède, or celui-ci se gave de l’épaisse réalité. Il s’enlise dans la mouise, et même la tisane de Jeanne-Louise n’en peut mais.

    Mais qu’a-t-il donc ? Cathy le ménage, don sans lendemain. L’âge d’or s’est évanoui, voudrait-il le ranimer ? Si des combats enfouis, il veut organiser l’oubloui, pas étonnant qu’il ait mal à l’ouïe. Ce ne sont pas ses tympans qui le tyrannisent, c’est lui, ce myope, qui les maltraite.

    « Ti’ns-toi le pour dit », lui susurre-t-on dans le creux de l’oreille et le goût sûr de son confort. Mais il n’en fait qu’à sa tête et il brait.

    « Que braille-t-il ? » demande-t-on, mais lui répond qu’il n’est pas aveugle, s’engage alors un véritable dialogue de sourds.

    Le conscrit pénètre en principe dans la Grande Muette, mais les traditions se perdent et tout fout le camp. Il faudrait cependant voir à ne pas faire trop d’humour à l’égard des camps de la mort, c’est un sujet délicat et un faux pas est si vite arrivé, qui vous ferait directement glisser sur le terrain mouvant et scabreux de l’ambiguïté… mal maîtrisée. Pour les campements militaires, ça va : l’humour y est toléré, surtout s’il n’est pas trop fin – de même que la blague, a fortiori si elle ne se veut pas plus fine que l’oreille qui l’écoute. Ce n’est pas d’hier que les quartiers d’hiver ne font pas de pitié pour les finauds : le fin du fin n’est-il pas de se moquer des badauds ? « Ballot de civil », balance l’appelé bientôt libéré. C’est ainsi qu’il se joue de son joug, les joues roses et enflammées par la caresse de la bise du printemps.

    Gontran de Nogent aime le printemps, saison promise aux amours et aux emballants bourgeonnements. Lui-même languit et s’enquiert de sa promise qui l’interpelle :

    — Susurre-moi dans le creux de l’oreille des mots doux pansant les maux d’août…

    — Senteur de santal, sens toi-même si cent heures qui nous séparent me serrent le cœur…

    — Le cœur se sert, et mon corset me serre…

    — Oh oui, mon corps ce maître se marre à te mirer, et mon cœur se serre pressé d’être près de toi…

    — Oppresse-toi un peu, veux-tu, ou attends-tu que nous prissions une peine pour l’éternité éthérée ?

    — Ô Temps, réponds au vœu de Lamartine de suspendre un peu ton cours, et toi marâtre Nature, peinturlurée comme un tableau de Derain, laisse-nous apprécier le meilleur de nos jours…

    — Je veux me nicher dans le creux de tes reins…

    — Alors que c’est dans le creux de mes mains que se cachent les mots doux que m’inspirent tes yeux de biche d’airain… Étonnant, non ?

    — Mais c’est absurde !

    — Le monde n’a pas fini de nous éberluer par son étonnante absurdité.

Septembre 2024.

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