Chevreuse.

Chevreuse.

Chevreuse, point de départ de la promenade sur les traces de Jean Racine. Rien que pour y aller, il faut traverser Châtillon (à ne pas confondre avec Viry-Châtillon), dans une longue ligne droite qui rejoint le carrefour du Petit-Clamart. Ici, les affiches qui font la promotion des minitels roses n’ont rien de sympathique. Elles s’offrent sous le jour le plus laid, le triste mercantilisme de la chair et elles enlaidissent ce coin de banlieue, qui n’a jamais tant paru être ce rebut de la capitale qu’il a toujours été.

Après le carrefour du Petit-Clamart (n’est-ce pas là où le général de Gaulle fut la victime d’un attentat manqué ?), il faut se diriger vers Saclay, le Christ de Saclay, et surtout le Centre d’Études Nucléaires, devenu le Centre d’Études atomiques (C.E.A.).

Les bâtiments s’étendent sur une superficie assez vaste en pleine campagne, entre des champs et un bois. En fait, le Centre est situé à côté d’un terrain de golf, ce qui en fait le lieu idéal pour tourner un film qui serait une parodie de James Bond. Du terrain de golf, où le super-espion ferait semblant de se passionner pour l’apprentissage de ce sport qui exige une grande faculté de concentration, il chercherait en réalité à savoir ce qui se passe derrière les grilles du parc.

Enfin, par les petites routes, on rallie Saint-Rémy-les-Chevreuse, puis Chevreuse. Le plus simple est de considérer que Chevreuse est le village qui se trouve à l’entrée de la vallée de Chevreuse, même si ce n’est pas géographiquement exact. Ce petit village, plutôt charmant, n’a a priori rien pour effrayer le touriste. Il devient pourtant impressionnant quand, en plein été, le ciel s’obscurcit et tourne à l’orage. En plein milieu de l’après-midi, quand on se retrouve presque dans le noir, on se rend alors compte que la vallée est très étroite, et que les nuages bas peuvent donner une sensation d’étouffement. Pris au piège, alors qu’on est à peine à 30 km de Paris. On se souvient alors que ce même sentiment, on l’a déjà éprouvé, dans des ruelles particulièrement étroites de Paris, quand le ciel est gris-noir, et que la pluie menace.

C’est donc ici que s’est passée l’enfance de Jean Racine, et c’est également là qu’on trouve l’abbaye où Pascal et les Jansénistes trouvèrent refuge. Ça ne manque pas d’être surprenant. D’abord, à cause de cette sensation d’étouffement, même si la luxuriance de la végétation et l’étroitesse des routes pouvaient dissuader les soldats du roi de s’aventurer jusque là, préférant laisser l’endroit aux vide-goussets (encore que l’argument paraît douteux). Et puis surtout, parce qu’on n’est pas très loin de Versailles. Si ça n’était pas une tentation fréquente en histoire, on pourrait dire que si l’abbaye a fini par être rasée, c’était somme toute assez prévisible.

En fait, il faut se rendre sur place pour comprendre ou, au choix, approfondir ses perplexités. Parce que Chevreuse, ce n’est pas Magny-les-Hameaux, Romainville ou Buloyer. Même si l’abbaye est en contrebas de ces villages, le sentiment d’oppression y est moins fort. Si on voulait faire de l’esprit, on pourrait dire que ce n’est pas étonnant, puisque l’abbaye ayant été rasée, la vue est aujourd’hui très dégagée.

Mais c’est aussi beaucoup plus près de Versailles. Il est vrai que les Jansénistes de Port-Royal n’avaient pas forcément conscience d’être des subversifs : ils se voulaient plus près de Dieu et plus loin du monde, c’est tout.

D’un point de vue plus pratique, il aurait été naïf de croire qu’en ayant procédé à des repérages la semaine précédente, il serait plus facile d’y accéder. Il a fallu y aller d’une autre manière, et puis il a fallu se perdre, et gaspiller un temps considérable dans des quartiers saugrenus. Je me suis bien gardé d’intervenir dans ce débat. J’avais le plan en tête, je savais parfaitement comment y aller, mais ça m’a permis de voir comme on est ridicule quand on se fie à son sens de l’orientation et aux panneaux. Et puis ç’a été plutôt sympathique d’arriver par l’autre côté. Ça avait un côté découverte, ça a donné un petit effet de surprise à la visite.

Autant Chevreuse paraissait sombre, perdu dans un vallon encaissé, autant le côté de Magny est ouvert, dégagé sur de vastes étendues de champs de blé, dans lesquelles, apparemment, viennent manger les corbeaux.

La promenade dans les sous-bois était elle-même riche en surprises, la moindre n’étant pas de découvrir que ce lieu qu’on aurait pu croire propice à la méditation, était surtout prisé des cyclistes, notamment des propriétaires de vélos tout terrain, les autres préférant nettement la route goudronnée.

D’un point de vue culturel, il est bon de savoir que non seulement Racine et Pascal ont été des amis de Port-Royal, mais aussi Boileau, Molière, Madame de Sévigné, l’abbé Grégoire et Montherlant.

À lire :

François Mauriac, La vie de Jean Racine, 1928.

Port-Royal, l’abbaye et les Granges.

C’est donc à Port-Royal que la famille a renoué avec ses habitudes de promenades culturelles. Quand j’étais petit, on me disait que ces choses-là ne pouvaient me faire de mal. J’avais déjà obscurément conscience qu’il n’en sortirait jamais rien de bon, mais comment le formuler ? Encore aujourd’hui, la clarté ne me caractérise pas.

À Port-Royal, ce n’est évidemment pas l’exigence morale et religieuse qui me fait rêver. C’est plutôt la douceur et le charme mélancolique du parc qui m’attirent et me retiennent prisonnier dans leurs rets. Comment ne pas se dire que loin du monde, ses pièges et ses chausse-trappes paraissent moins menaçants ? Que ses attraits sembleraient sans intérêt ?

Ici, le débat est tout autre. Faut-il avoir lu Pascal, Boileau et Racine pour apprécier la quiétude des lieux ? Si on a lu Pascal, est-il nécessaire d’avoir tranché et de s’être engagé dans le pari ?

Aucun détail ne saurait être négligé, et la casuistique prend ici tout son sens. Par exemple, la quiétude des lieux ne saurait être appréciée qu’en contraste de quelque chose de beaucoup moins paisible. Si ce n’est l’agitation du monde, puisque celle-ci est désormais réputée dépourvue d’attraits, où puiser cette inquiétude dont on viendrait se reposer dans ces lieux, protégés des dieux et surtout de la modernité ?

Existe-t-il au contraire un cercle enchanté de la religion, qui empêcherait quiconque s’en sentirait irrémédiablement exclu d’en jouir paisiblement ?

2000.

Repris en mai 2024.

Suivant
Suivant

Histoire de la conversation que Bambi eut avec son père