Autoportrait physique.

Autoportrait physique.

    J’ai 47 ans, je suis au milieu du chemin de notre vie et souvent je me suis retrouvé dans une forêt obscure, non seulement parce que je n’ai jamais su ce qu’était la droite voie mais aussi parce que plus d’une fois je me suis perdu de vue. Essayons de voir à quoi je ressemble.

    Au physique, j’ai une grande taille, une haute stature, de longues jambes, un tronc étroit et une cage thoracique peu développée, une corpulence maigre et sèche, avec une légère tendance à l’embonpoint, une petite bedaine à la place des muscles abdominaux en tablette de chocolat, des poignées d’amour sur les côtés, conséquence de mon peu de goût pour l’exercice physique et le mal qu’il faut se donner pour sculpter son corps. Mon rapport au sport a très tôt été perturbé par la fragilité de mes chevilles, facilement sujettes aux entorses. Mon allure est à la fois svelte et un peu embarrassée par ce grand corps. Mon maintien peut être élégant et hiératique, quand il n’est pas handicapé par des tours de reins et des lombalgies, un mal récurrent et généralisé dans ma famille. Je peux marcher d’un pas vif, alerte et décidé si je suis pressé par un rendez-vous, mais le plus souvent, j’aime flâner pour prendre le temps de me promener. J’ai beaucoup de mal à me tenir droit, les épaules voûtées et le ventre qui part en avant. C’est le contraire du corps d’un athlète sportif et musculeux, cependant je peux être résistant, solide et endurant quand le besoin s’en fait sentir. De temps en temps, je me redresse, j’essaie de rentrer le ventre et de gonfler les pectoraux pour me hausser du col mais c’est artificiel. Je retombe bien vite dans une posture prostrée et avachie, parce que je n’aime pas nécessairement avoir une tête qui dépasse.

    Quelle tête j’ai ! La forme générale de mon visage est ovale, anguleuse au niveau de la mâchoire, un nez proéminent, des joues flasques, des sourcils broussailleux, une cicatrice sur l’arcade gauche, souvenir d’un chien qui m’avait attaqué au visage quand j’étais enfant, des yeux qui se voilent facilement, un grand front dégagé strié de rides, des cheveux qui ondulent facilement, grisonnants, abondants et fournis, rejetés en arrière ou au contraire plaqués vers l’avant parce que je n’arrive jamais à les coiffer de manière satisfaisante ; je préfère néanmoins les couper moi-même n’appréciant pas qu’un coiffeur me touche le haut du crâne que j’ai arrondi. J’aimerais bien avoir une longue chevelure de dandy mais quand je les laisse pousser, je suis tout hirsute et ébouriffé, alors après une période de désordre et d’anarchie qui ne me déplaît pas, je les coupe court et je me fais des brushings à l’eau. Souvent, je me passe la main dans les cheveux ou je me gratte la tête, particulièrement quand je suis à ma table de travail, à la recherche d’une idée. Je me passe aussi beaucoup la main sur le visage, devant la bouche, dans des poses méditatives et contemplatives. Ce sont peut-être des signes de troubles obsessionnels compulsifs, mais comme ceux-ci sont considérés comme des troubles imaginaires, je préfère ne pas y penser. Je dois quand même reconnaître que je n’ai jamais beaucoup reçu de compliments sur mon apparence physique, ni de proposition de la part de l’industrie du cinéma.

    Mon expression est généralement triste et mélancolique, impassible et impénétrable. Mon teint est coloré, clair et lumineux. Mes yeux sont de couleur noisette tirant sur le vert, mon regard est généralement bienveillant et placide, il peut s’allumer d’une lueur vive quand j’ai une idée, gaie quand je reçois une bonne nouvelle, il est tour à tour vif, aigu et scrutateur, il est parfois soucieux, parfois distrait, je peux aussi avoir des éclairs de colère ou d’indignation quand je lis des informations ou que j’assiste à des évènements contraires à mes valeurs.

    Je ne m’exprime pas avec aisance, l’intonation de ma voix est basse et caverneuse, son intensité est sourde et étouffée du fait de mes longues ruminations, le timbre en est rauque et guttural, je n’ai pas une très bonne élocution, n’ayant jamais pris des cours de théâtre ou de diction, mes crises de rage et mes désespoirs sont le plus souvent muets, du fait de mon impuissance à corriger les torts et les injustices auxquels j’assiste ou dont je suis victime. Ma bouche prend alors un air pincé, alors que d’habitude elle est rieuse et sensuelle, gourmande des plaisirs physiques et charnels.

    On me dit que je suis un scorpion niçois lunatique et capricieux, indécis et fanfaron, prétentieux et contradictoire... Qu’il y a de la gratuité dans ce que j’écris, que je ne sais pas faire les transitions, associer par un lien de nécessité les différentes parties entre elles. Bah, è vero che « the social Security System » me ne frega completamente, ou peu s’en faut.

    Je suis donc un scorpion niçois. Un scorpion niçois n’a-t-il pas des yeux pour voir et pour pleurer ? N’ai-je pas des oreilles pour entendre ? N’ai-je pas un nez pour sentir, une bouche pour goûter ? Voir ce qui va et qui ne va pas, admirer la beauté, les petits fragments de beauté qui échappent aux multiples formes de la laideur contemporaine, pleurer sur les femmes infidèles comme sur les injustices du monde, ma jeunesse enfuie et ces instants qui ne reviendront pas ? La grâce et les talents que je n’ai pas ? Entendre les blâmes et les éloges, écouter le bruit du vent, le vacarme assourdissant, être agressé par la mauvaise musique, jouir de la grande et être ému par les chansons populaires et sentimentales ? Sentir les mauvaises odeurs et jouir des parfums rares et délicieux, celui des fleurs éphémères et des mets délicats ? Goûter aux plats de ma mère qui me rappellent ceux de mes grand-mères, ceux des grands chefs qui coûtent fort cher sans les égaler ? Avoir le goût corrompu par la nourriture industrielle et la junk food sans pour autant me plaindre ? N’ai-je pas des mains, des organes, des proportions, des sens, des émotions, des passions ? Ne suis-je pas nourri de même nourriture, blessé des mêmes armes, sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes moyens, réchauffé par même été, refroidi par même hiver que les autres ?

    Si l’on me pique, je saigne. Si l’on me chatouille, je ris. Si l’on m’empoisonne, je meurs. Et si l’on me fait tort, je ne me vengerai pas. C’est physique : j’ai horreur de la violence.

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