Le Pirée n’est jamais sûr.
Une tragédie navale et subjective.
Avec :
Le président des États-Unis de Colombique ;
L’officier de marine commandant le rafiot le plus pourri de la flotte colombicaine,
le « Ferriboîte » ;
Le chœur des progressistes ;
La Boulê des républicains.
LE PRÉSIDENT. — Hélas, vil et pauvre Achéen aux longs cheveux !
Le fatal vaisseau, en son ultime voyage,
Était placé sous ta responsabilité
Et toi, sans prévoir ton destin ni ce naufrage,
Tu regardais la télé, maudit hébété.
L’OFFICIER. — Pour me faire la morale
Vous êtes, en effet, bien placé.
Vous êtes, des questions orales,
Un expert, on le sait assez.
LE PRÉSIDENT. — J’aime qu’on se soumette, voilà qui est bien,
Continue de ramper, surtout ne change rien.
L’OFFICIER. — Mais je vous en conjure, ne m’accablez pas
D’un juste courroux jusqu’à mon trépas.
On peut le dire, d’une certaine manière,
L’exemple et le précédent venaient d’en haut :
Vous inventâtes le rebond de carrière,
Et la pause pendant laquelle rien n’est trop beau.
LE CHŒUR. — Par tous les apôtres de l’œcuménisme !
Par le sang du messie du prosélytisme !
Quelle est cette audace qui saisit l’impudent ?
Voilà qu’il veut impliquer notre président !
Nous en avons, nous autres, le souffle coupé,
Mais personn’ ne nous empêchera de chanter.
Ils chantent :
Oh, quand les Saints, oh, quand les Saints,
Descendront du Paradis pour venir jusqu’ici,
Lâchant ainsi la proie pour l’ombre,
Oh, J’aimerais tant, j’aimerais tant,
En faire partie, mais oui, faire partie
De leur petit nombre…
LA BOULÊ. — Nous, le président, on ne l’aime pas,
Et nous avons bien essayé de l’empêcher.
Mais ce n’était que du sirop d’orgeat
Et une tache n’est pas un péché.
Il faut le dire au risque de déplaire,
Pourquoi s’embêter quand on peut se taire,
Sur la foi de notre honneur de parlementaires
S’attaquer à un grand ce n’est pas nos affaires.
LE PRÉSIDENT. — Ainsi donc, comme tu peux le constater,
Il y a peu de monde à tes côtés.
Tu n’es qu’un obscur et misérable officier,
Et par ta faute des progressistes sont morts noyés.
Pour moi, ta cause n’est pas bonne à défendre
Et je vois mal qui t’empêcherait d’aller te pendre.
D’ailleurs, pour que tes chefs t’aient confié
Le commandement de ce vieux rafiot,
Il fallait que de tous les officiers,
Tu fusses sans nul doute le plus idiot.
L’OFFICIER. — Que votre Gracieuse Majesté me pardonne…
LE PRÉSIDENT. — Quoi ? D’où vient cet affront, ce nom qu’on me donne ?
L’OFFICIER. — Oh ! Je prie votre Sérénissime Altesse
De bien vouloir excuser ma maladresse.
LE PRÉSIDENT. — Mais ne sais-tu donc pas à qui tu as affaire ?
Je suis avant tout un élu populaire,
Un homme du peuple, un citoyen ordinaire.
L’OFFICIER. — Ceci ne me semble pas très protocolaire.
LE PRÉSIDENT. — Mais que m’importe le respect du protocole !
Je veux de l’égalité, et que l’on rigole.
Que tu es entêté, bougre d’Hellène !
Si tes navalo-maritimes compétences,
Sans mentir, se rapportent à ton haleine,
Rien d’étonnant, à ma connaissance,
Que tu aies envoyé ton navire par le fond.
LE CHŒUR. — Que l’humour de notre président est profond !
Bien que le drôle fasse son impertinent,
Il ne s’en laisse pas conter par ce manant.
Armé de sa très grande simplicité,
Il lui montre qu’être puissant n’est pas grand’chose
Et que le pouvoir ne vaut pas l’égalité.
Dans la vie, l’essentiel, c’est d’oser. Qui veut ose,
Et qui ose peut. Pour illustrer ce principe,
Il s’apprête à réformer la taille des pipes :
Que les personnels masculins et féminins
Deviennent les artisans égaux de demain !
L’OFFICIER. — Est-ce ma faute si je n’aime pas fumer ?
Et si je préfère le sport à la télé ?
LE CHŒUR. — Où l’ont conduit ses coupables déviances !
Regarder du foot, ce n’est pas très tendance.
LE PRÉSIDENT. — Bien sûr, on pourrait sans fin te reprocher
D’avoir manqué à tes responsabilités.
Mais l’essentiel, si tu n’aimes pas les leçons,
Il faut que tu comprennes, il faut que tu saisisses,
Qu’il y a la manière et les bonnes façons.
Suivre du foot pendant les heures de service,
C’est manquer d’imagination dans le vice.
Même si ma modestie devait en souffrir,
Je te propose de méditer mon exemple.
Tandis que d’un beau geste, noble et ample,
J’initiais une jeune stagiaire au plaisir,
Elle voulut sa gratitude me démontrer.
Avec ses tendres et virginales caresses,
Elle sut me faire connaître des dieux l’empyrée,
L’Olympe, l’ambroisie, le nectar et l’ivresse,
Dans le bureau où j’exerce mes fonctions,
Sans que personne n’y prête la moindre attention.
LA BOULÊ. — Quant à nous, il ne nous reste qu’à nous taire.
Nos compromis, nos maîtresses et nos verres
Ont, de façon très complète, dressé
Le portrait d’hypocrites achevés.
Parole de parlementaires corrompus :
Nous n’avons rien vu, rien entendu et tout bu.
LE CHŒUR. — Toujours, nous serons les hérauts du progrès social ;
Ce qui n’exclut pas d’aider le solitaire
Confronté à l’hostilité générale,
Surtout si c’est le président de la Terre.
Le progrès se jouant dans l’intimité,
Nous posons la question sans arrogance :
Lequel des maux est le plus grave en vérité,
Intolérance ou irresponsabilité ?
Pour nous, la réponse est dans les nuances,
Déviances petites ou grandes appellent l’indulgence,
Être responsable, d’éteindre la télé.
LA BOULÊ. — En cette affaire, il faut le concéder,
De Realpolitik non frelatée,
Les progressistes nous ont clairement médusés
Nous en avons la chique coupée.
Novembre 1999,
repris le 5 mai 2024.