Le dandy dans une émission de divertissement.

The lazy medium

Le dandy dans une émission de divertissement.

C’est une émission de télévision.

L’animateur, Hardicon, demande à son invité si sucer, c’est tromper, puis il s’esclaffe bruyamment avec son bouffon Laurent Bouffie.

    L’invité le regarde avec une immense commisération et beaucoup de pitié. Il a un air las, terriblement las et fatigué. Il a accepté cette invitation dans cette émission de divertissement qui ressemble à un traquenard, bien qu’il n’ait rien à vendre, parce qu’on le lui a conseillé, arguant que ça lui ferait du bien de sortir voir des gens, du peuple. Il aurait préféré rester dans son hôtel des bords de Seine, sur la rive gauche, à goûter l’écoulement du temps, en observant la splendeur flamboyante des couleurs de l’automne, les couchers de soleil sur la surface iridescente du fleuve et les vagues sombres provoquées par le passage des bateaux-mouches. Il aurait préféré se promener le long des quais, et des boîtes des bouquinistes, sans pour autant s’inquiéter de savoir si ses ouvrages y étaient présents, et en bonne place, ou pas. Il avait eu du succès, c’était passé. Son œuvre était faite et terminée. Il était au-dessus de ça désormais.

    Il sortait de deux années de bagne et d’humiliations, le scandale était derrière lui désormais, il était allé à Naples où il avait retrouvé son jeune amant, toujours aussi ingrat et caractériel, nous étions au mois de septembre, et cet invité, c’était Oscar Wilde.

    Il faisait une chaleur suffocante, d’autant plus insupportable qu’elle était artificielle, dans ce studio de télévision. Dehors, cette fin d’été encore chaude était tempérée par une légère brise. Dans le studio, c’était l’enfer pour le dandy. L’animateur affichait l’arrogance, la suffisance et la bêtise crasse du parvenu sûr de lui et dominateur, régnant sur une basse-cour de laquais obséquieux qui connaissaient les codes de la société moderne et son langage, ils ne pouvaient être qu’incommodés par les manières du vieux dandy qui ne les impressionnait pas, alors qu’autrefois il avait fait trembler la haute société londonienne.

     Les bouffons faisaient rire un public de mongoliens qui applaudissaient comme des singes même pas savants quand on leur en donnait l’ordre avec des blagues éculées mais efficaces, même si leur parenté avec l’esprit français était plus que douteuse, dépourvue de fondement.

     Attendant leur tour, un quarteron de philosophes qui se prenaient au sérieux comme des papes, discutaient avec des midinettes habillées de strass et de paillettes, « espoirs » de la chanson française bien qu’elles s’exprimassent de préférence en racaillo-globish. Ils appartenaient au même monde : ils avaient quelque chose à vendre. Les philosophes, censés questionner les certitudes et les habitudes de leurs contemporains, avaient en fait parfaitement assimilé les règles de l’économie de marché, et sous prétexte d’instruire en divertissant, ils étaient venus là pour placer leurs livres : c’étaient des philosophes à vendre. Les chanteuses impubères, dont la mission était d’apporter du bonheur à des vieilles choses plus ou moins racornies, mais illuminées par un illettrisme militant, s’apprêtaient à brailler leurs inepties pour mieux casser les oreilles des mélomanes épris de Ravel et de Debussy, et fourguer leurs albums à un public de fans lobotomisés qui crieraient au talent, si ce n’est au génie.

Mozart

Edelfelt

Rilke

Dostoïevski et

Einstein

étaient cachés dans le public, qui ne les reconnaissait pas, même si certains faisaient un drôle d’effet à leurs voisines, vaguement intriguées par leur air de morts-vivants. Enfin, elles en avaient vu d’autres au cinéma. Les cinq ombres fantomatiques n’avaient plus rien à vendre, ils assistaient au spectacle, intrigués, amusés, un peu las quand même.

Arcimboldo

Lermontov

Aymé

Bergman

Eco

Tabucchi

Ionesco

Shakespeare

Erdmann

Cioran

Orwell

Nabokov

Stendhal

Erofeïev

Nanni Moretti

Svevo

Utrillo

Eisenstein

Léonard

Lord Byron

Enrique Vila-Matas

Je salue votre talent et je vous remercie de m’avoir accompagné dans ma quête de la beauté.

25 septembre 2023.