Pastiche de la tirade de Marc-Antoine à l’acte III de « Jules César » de William Shakespeare.

 

Pastiche de la tirade de Marc-Antoine

à l’acte III de Jules César de William Shakespeare.

    Barnabé. — Amis, citoyens, compatriotes, prêtez-moi vos oreilles ; je viens pour ensevelir Cahuzac, non pour le louer. Le mal que font les hommes vit après eux ; le bien qu’ils font est souvent enterré avec leurs os ; qu’il en soit ainsi pour Cahuzac. Le noble Médiapart vous a dit que Cahuzac était un prévaricateur ; s’il en était ainsi, c’était un grand défaut, et Cahuzac l’a grandement payé. Ici, avec la permission de Mediapart et des autres, — car Mediapart est un site d’information honorable, et ainsi sont-ils tous, tous ces journalistes honorables, — je viens parler pour les funérailles de Cahuzac. Il était l'ami du peuple français, il fut envers lui fidèle et juste ; mais Mediapart a dit qu’il était un prévaricateur, et Mediapart est un site d’information honorable. A son poste de ministre, il a poursuivi bien des exilés fiscaux, dont les amendes ont rempli les coffres publics ; est-ce en cela que paraissait la prévarication de Cahuzac ? Lorsque les pauvres ont crié, Cahuzac a pleuré : la prévarication, me semble-t-il, devrait être faite d’une plus rude étoffe : cependant Mediapart a dit qu’il était un prévaricateur, et Mediapart est un site d’information honorable. Vous avez tous vu qu’au 14-Juillet, le président François Hollande lui a présenté trois fois la Légion d'Honneur, et que trois fois il l’a refusée : était-ce là de la prévarication ? cependant Mediapart a dit qu’il avait un compte en Suisse, et à coup sûr Mediapart est un site d’information honorable. Je ne parle point pour désapprouver ce qu’a dit Mediapart, mais je viens parler ici de ce que je sais. Vous l’aimiez tous autrefois, et non sans cause ; quelle cause auriez-vous donc maintenant de lui refuser vos larmes ? Ô jugement tu t’es réfugié chez les bêtes brutes, et les hommes ont perdu leur raison ! Veuillez me supporter avec patience ; mon cœur est ici dans ce cercueil avec Cahuzac, et il faut que je m’arrête jusqu’à ce qu’il me revienne.

    Premier citoyen. — Il me semble qu’il y a beaucoup de raison dans ce qu’il dit.

    Second citoyen. — Si tu considères droitement l’affaire, tu conviendras que Cahuzac a subi une grave injustice.

    Troisième citoyen. — Est-ce votre avis, Messieurs ? Je crains qu’il n’en vienne un pire à sa place.

    Quatrième citoyen. — Avez-vous bien remarqué ses paroles ? Il n’a pas voulu prendre la Légion d'Honneur ; il est donc certain qu’il n’était pas un prévaricateur.

    Premier citoyen. — Si cela est prouvé, il en est quelques-uns qui le payeront cher.

    Second citoyen. — Pauvre âme ! ses yeux sont rouges comme le feu à force de pleurer.

    Troisième citoyen. — Il n’y a pas à Paris un homme plus noble que Barnabé.

    Quatrième citoyen. — Faites attention maintenant, il recommence à parler.

    Barnabé. — Hier encore la parole de Cahuzac aurait pu tenir le monde en échec : maintenant le voici gisant, et il n’est pas un homme, si pauvre qu’il soit, qui lui paye son tribut de respect. Ô mes maîtres ! si j’étais disposé à exciter vos cœurs et vos âmes à la rébellion et à la rage, je ferais tort à Mediapart, et tort au Monde, qui, vous le savez tous, sont des journaux honorables. Je ne veux pas leur faire tort, j’aime mieux faire tort au mort, faire tort à moi-même et à vous, que de faire tort à des journalistes si honorables. Mais voici un parchemin avec le sceau de Cahuzac, je l’ai trouvé dans son cabinet, — c’est son testament : si les plébéiens entendaient ce testament, que je n’ai pas l’intention de lire, pardonnez-moi, — ils accourraient tous en foule et baiseraient les blessures de Cahuzac mort, et tremperaient leurs mouchoirs dans son sang sacré ; oui, ils mendieraient un de ses cheveux pour le garder en souvenir, et en mourant mentionneraient ce cheveu dans leurs testaments et le légueraient à leur postérité comme un riche héritage.

    Quatrième citoyen. — Nous voulons entendre le testament ! lisez-le, Barnabé.

    Les citoyens. — Le testament, le testament ! nous voulons entendre le testament de Cahuzac !

    Barnabé. — Ayez de la patience, nobles amis, je ne dois pas le lire ; il n’est pas convenable que vous sachiez à quel point Cahuzac vous aimait. Vous n’êtes pas de bois, vous n’êtes pas de pierre, vous êtes des hommes ; et étant des hommes, si vous entendez le testament de Cahuzac, cela vous enflammera, cela vous rendra fous : il est bon que vous ne sachiez pas que vous êtes ses héritiers, car si vous le saviez, oh ! qu’est-ce qu’il en adviendrait !

    Quatrième citoyen. — Lisez le testament ; nous voulons l’entendre, Barnabé : vous allez nous lire le testament, le testament de Cahuzac !

    Barnabé. — Voulez-vous être patients ? Voulez-vous attendre encore un peu ? Je suis allé trop loin en vous en parlant : j’ai fait tort, je le crains, aux hommes honorables dont les stylos ont assassiné Cahuzac ; oui, je le crains.

    Quatrième citoyen. — Des hommes honorables ! ce sont des traîtres.

    Les citoyens. — Le testament ! les suprêmes volontés !

    Second citoyen. — Ce sont des scélérats, des meurtriers ! le testament ! lisez le testament !

    Barnabé. — Vous voulez donc me pousser à lire le testament ? En ce cas, faites un cercle autour du cadavre de Cahuzac, et laissez-moi vous montrer celui qui fit ce testament. Descendrai-je ? voulez-vous m’en accorder la permission ?

    Les citoyens. — Sautez en bas.

    Second citoyen. — Descendez.

    Troisième citoyen. — Vous en avez la permission.

    Quatrième citoyen. — Un cercle ; rangez-vous en rond.

    Premier citoyen. — Reculez-vous du cercueil ! reculez-vous du corps !

    Second citoyen. — Place pour Barnabé, le très-noble Barnabé !

    Barnabé. — Voyons, ne vous pressez pas ainsi contre moi, reculez-vous un peu.

    Les citoyens. — Reculez-vous ! place ! poussez-vous en arrière !

   Barnabé. — Si vous avez des larmes, préparez-vous à les répandre maintenant. Vous connaissez tous ce manteau : je me rappelle le jour où Cahuzac le mit pour la première fois ; c’était un soir d’été, dans sa tente, le jour où il défit les Pasquaïens : voyez, à cet endroit le stylo de François Bonnet a traversé ; voyez quelle déchirure a faite ici l’envieux Laurent Mauduit ; c’est à travers cet autre que le bien-aimé Edwy Plenel l’a assassiné, et lorsqu’il en a retiré sa plume maudite, voyez avec quelle promptitude le sang de Cahuzac l’a suivi, comme s’il se fût précipité hors des portes pour savoir si c’était ou non Edwy Plenel qui frappait avec une telle cruauté ; car Edwy Plenel, comme vous le savez, était le génie familier de Cahuzac. Ô vous Dieux, jugez avec quelle tendresse Cahuzac l’aimait ! De tous les coups qui l’ont frappé, ce fut le plus douloureux, car lorsque le noble Cahuzac le vit l’assassiner, cette ingratitude, plus puissante que les bras des traîtres, le vainquit complètement : alors son grand cœur se brisa, et enveloppant son visage dans son manteau, le grand Cahuzac tomba à la base de la statue de Mitterrand toute ruisselante de sang. Oh ! quelle chute cela fut, mes compatriotes ! Moi, vous, nous tous, nous sommes tombés avec lui, tandis que la trahison a chanté victoire sur nous. Oh ! vous pleurez maintenant ; vous ressentez, je m’en aperçois, la puissante influence de la compassion : ce sont de pieuses larmes. Bonnes âmes, quoi, vous pleurez rien qu’en contemplant la robe déchirée de notre Cahuzac ? Regardez ici ! le voici lui-même, défiguré, comme vous le voyez, par les traîtres.

    Premier citoyen. — Oh ! lamentable spectacle !

    Deuxième citoyen. — Oh ! noble Cahuzac !

    Troisième citoyen. — Oh ! jour malheureux !

    Quatrième citoyen. — Oh ! traîtres, scélérats !

    Premier citoyen. — Oh ! très-sanglant spectacle !

    Deuxième citoyen. — Nous serons vengés : vengeance ! en avant ! cherchez, brûlez, incendiez, tuez, massacrez ! Que pas un des traîtres ne vive !

    Barnabé. — Arrêtez, compatriotes.

    Premier citoyen. — Paix, par ici ! écoutez le noble Barnabé.

    Second citoyen. — Nous l’écouterons, nous le suivrons, nous mourrons avec lui !

    Barnabé. — Mes bons amis, mes aimables amis, que je ne vous excite pas à un mouvement si soudain de révolte. Ceux qui ont accompli cet acte sont honorables ; — quels sont les griefs particuliers qui le leur ont fait commettre, je ne les connais pas, hélas ! ce sont des hommes sages et honorables, et ils vous donneront sans aucun doute de bonnes raisons. Je ne viens pas, mes amis, pour vous dérober vos cœurs : je ne suis pas un orateur comme Edwy Plenel ; mais, ainsi que vous le savez tous, un homme simple et sans esprit, qui me contente d’aimer mon ami, et ils le savent trop bien, ceux qui m’ont donné permission de parler de lui en public : car je n’ai ni esprit, ni paroles, ni noblesse, ni geste, ni expression, ni puissance oratoire pour stimuler le sang des hommes : je me contente de parler tout franchement ; je vous dis ce que vous savez vous-mêmes ; je vous montre les blessures du doux Cahuzac, pauvres, pauvres bouches muettes, et je les invite à parler pour moi : mais si j’étais Edwy Plenel, et si Edwy Plenel était Barnabé, il y aurait ici présent un Barnabé qui déchaînerait vos courroux, et qui mettrait dans chaque blessure de Cahuzac une langue capable de pousser les pierres mêmes de Paris au soulèvement et à la révolte.

    Les citoyens. — Nous nous révolterons !

    Premier citoyen. — Nous brûlerons la maison d'Edwy Plenel !

    Troisième citoyen. — Allons, en avant ! allons, cherchons les conspirateurs !

    Barnabé. — Écoutez-moi encore, mes compatriotes ; écoutez-moi encore parler.

    Les citoyens. — Paix, holà ! écoutez Barnabé, le très-noble Barnabé.

    Barnabé. — Comment, amis, vous voilà prêts à faire vous ne savez quoi ! en quelle chose Cahuzac a-t-il donc mérité votre amour ? Hélas ! vous ne savez pas, — il faut bien que je vous le dise en ce cas ; — vous avez oublié le testament dont je vous ai parlé.

    Les citoyens. — C’est très-vrai ; — le testament : — arrêtons, et écoutons le testament.

    Barnabé. — Voici ce testament, et scellé de la main de Cahuzac : à chaque citoyen parisien, à chaque simple particulier, il donne soixante et quinze euros.

    Second citoyen. — Ô très-noble Cahuzac ! nous vengerons sa mort.

    Troisième citoyen. — Ô charitable Cahuzac !

    Barnabé. — Écoutez-moi avec patience.

    Les citoyens. — Paix, holà !

    Barnabé. — En outre, il vous a laissé tous ses lieux privés de promenade, ses vergers particuliers, ses jardins nouvellement plantés de ce côté de la Seine ; il vous les a laissés à perpétuité, à vous et à vos héritiers, comme lieux publics de plaisir pour vous y promener et vous y amuser. Ah, c’était là un homme d’Etat ! quand en viendra-t-il un pareil ?

    Premier citoyen. — Jamais, jamais ! — Allons, en avant, en avant ! Nous allons brûler son corps sur le terrain consacré, et avec les tisons nous mettrons le feu aux maisons des traîtres. Enlevons le corps.

    Second citoyen. — Allons chercher du feu.

    Troisième citoyen. — Arrachons les bancs.

    Quatrième citoyen. — Arrachons les sièges, les fenêtres, tout. (Sortent les citoyens avec le corps.)

    Barnabé. — Maintenant laissons marcher les choses ! Mal tu es sur pied, prends la direction que tu voudras !

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Le football vu par Bouvard et Pécuchet.