« T’es dans le vélo, qu’est-ce que tu parles ! »

« T’es dans le vélo, qu’est-ce que tu parles ! »

    — T’es dans le vélo, qu’est-ce que tu parles !

    Manière de dire : « C’est toi qui es sur la piste cyclable, tu es dans ton tort, et en plus tu protestes ? Ferme ta bouche ou, au moins, arrête ton cinéma et vire ton char ! », de la part d’un jeune bourgeois BFCSP+ (blanc, français, catégorie socio-professionnelle supérieure, version française sous-titrée du globish WASP), calme et posé sur son vélo, à un travailleur d’origine étrangère sur son pousse-pousse à touristes qui faisait des grands gestes en braillant.

    J’ai beau avoir lu des livres et vu des films « qui font réfléchir », je suis toujours surpris et impressionné par l’à-propos des gens, en l’occurrence un trentenaire sans doute bien inséré socialement, avec une famille, un métier plutôt valorisant (il avait une tête de bellâtre avec une mâchoire carrée), et une copine qui lui apporte du réconfort, de la morale et de la psychologie (comment je le sais ? Je n’en sais rien, je suppute : tout ce qui est bon et agréable est interdit, et tout ce qui est permis est chiant et fastidieux, comme la recherche, les remises en cause et la culture. Les femmes sont expertes pour « recadrer » les hommes, les stabiliser, leur faire la leçon, les rappeler à l’ordre, les remettre dans le droit chemin quand ils sont tentés de déraper. Ne lisais-je pas récemment un article à l’appui de la « théorie du mâle idiot » qui affirmait que les comportements à risque et les morts stupides sont plus souvent le fait des hommes que des femmes. Je ne vais pas contester, ce sont les résultats d’une étude sérieuse conduite par des scientifiques sérieux… et anglo-saxons. J’en déduis simplement que la bêtise et la stupidité sont des conditions indispensables au progrès de l’humanité. Avec les femmes, on stagne dans la sécurité, cousine de la médiocrité. Et elles n’ont même pas besoin d’avoir lu L’Éthique à Nicomaque d’Aristote pour savoir ce qui est juste : trop fortes, les femelles !)

    Cette faculté à être surpris et impressionné est un reste de timidité sociale qui me vient de mes origines modestes (de mes ancêtres paysans, instituteurs, fonctionnaires et petits-bourgeois) : même si j’ai essayé de faire le malin dans ma vie, même si j’ai essayé de jouer à l’ « esprit fort », celui qui ne croit pas mais qui a néanmoins peur, sinon de Dieu, du moins de ceux qui s’en réclament, je reste fondamentalement impressionné par les grands et beaux esprits : Pascal, avec son fameux pari, pour essayer de convaincre et de convertir les libertins, mais aussi Montaigne, en guerre contre les demi-habiles et les demi-savants, tous ces écrivains ou philosophes croyants, fustigeant l’athéisme, sachant instruire en divertissant, comme Molière, François Mauriac, Paul Morand ou, parmi les contemporains, Sylvain Tesson et Olivier Py, l’ex-directeur du festival d’Avignon, homosexuel et croyant. Même si cela peut sembler être une contradiction pour les imbéciles, ça n’a rien de nouveau : Montherlant ou Pasolini, pour ne citer que deux noms de référence que je connais, furent homosexuels, et, en même temps que des observateurs acérés de la comédie humaine, de grands contempteurs de la bêtise qui résulte de la soumission aux dogmes de l’économie de marché et de la société de consommation, au nom de l’inquiétude religieuse.

    La peur de Dieu, à défaut d’une foi franche et résolue, la plupart des grands esprits se disant agnostiques, voilà qui donne du style. Mais pas seulement : les athées et les libertins comme Casanova, Sollers, Kundera, aussi, avaient du style, ainsi que le marquis de Sade : défier Dieu en même temps que l’ordre et la morale, voilà qui donne du style. Bukowski aussi avait du style : son Journal d’un vieux dégueulasse avait en tout cas beaucoup plus de panache que Bernard Pivot, l’animateur-vedette des émissions littéraires de mon enfance qui avec sa bonne bouille d’académicien s’est empressé de renier ceux par qui le scandale est arrivé alors qu’ils assuraient le spectacle et donnaient du piment à ses émissions. Où est le courage ?

    Serais-je donc le seul à n’avoir pas le grand et beau style ? Non, je ne suis pas le seul, les gens autour de moi, mes parents, leurs amis, mes amis, nous n’avons pas le grand et beau style, c’est pourquoi nous n’écrivons pas de livre. Nous écrivons, certes, avec notre petit style, notre petit quant-à-soi, nos petits ressentiments, parce que nous sommes des petits-bourgeois, et nous prenons la vie comme elle vient, avec ses aléas et ses petites joies, nous essayons de nous en tirer face aux drames et aux tragédies avec l’humour des petites blagues, avec de l’ironie aussi, mais nous n’écrivons pas sérieusement, nous n’avons pas de projet littéraire, nous avons des rapports flottants et opportunistes avec la littérature comme avec les sciences et les arts majeurs.

    Voilà pourquoi il nous reste le cynisme : parce qu’il faut bien vivre, parce que nous vivons dans une société dans laquelle l’argent corrompt tout, et parce qu’il faut s’adapter, alors même qu’il est impossible de s’adapter à tout.

    Nous n’avons pas la force de caractère qui nous permettrait de nous élever au-dessus de nous-mêmes en défendant une cause : faut-il rappeler que le rôle de l’intellectuel est de défendre les opprimés, les exclus, les marginalisés, les laissés-pour-compte du mode de vie dominant aussi bien que les monstres ? De définir le Mal pour lui dire « Non » ?

    Je n’ai quant à moi pas la force de caractère qui me permettrait de me libérer de mon addiction à la cigarette. Il semblerait que ça m’aille bien comme ça, parce que je ne me rappelle pas avoir vécu sans tabac, alors qu’en fait non. Les vieux se plaignent surtout de leur santé et je m’en fous. Mais la mienne aussi, je m’en fous, mais pas tant que ça en fait.

    Ce pourrait être aussi ça, la force de caractère : une indifférence aux problèmes et aux préoccupations concrètes des gens qui seule permet d’accéder à la beauté, la grande beauté, celle qui nous submerge et nous envahit, celle qui est au-dessus de nous, celle qui est en nous, celle qui est ici et maintenant, celle qui est ailleurs… De toute façon, ils ont eu un métier et de l’argent, ils ont gagné leur vie parce qu’ils ont eu un métier, ce dont ils sont très fiers et leur donne bonne conscience, ne sachant pas, et s’ils le savent ils s’en moquent, que pour devenir riches, il faudrait trouver autre chose (c’est une citation d’Alphonse Karr). Mais quelles sont-elles, les Vraies Richesses ? Si j’en crois Jean Giono, qui dénonçait la vanité de la vie citadine, de l’argent, c’est la gloire du soleil, de la terre, des collines, des ruisseaux, des fleuves…

    Ça les fait sourire : ce sont les petites blagues qui aident à affronter les petites misères comme les grandes contrariétés de l’existence. Et qui n’ont rien à voir avec Le Rire de Bergson, livre dans lequel le philosophe définissait cette particularité de l’homme comme un accident, du mécanique plaqué sur du vivant.

    Cela étant, quelle fut ma journée, cette journée du 15 septembre 2023 ?

    Ce fut une belle journée d’automne, chaude et ensoleillée, avec les feuilles des platanes qui commençaient à joncher la chaussée envahie par tous ces travailleurs pressés d’aller se faire aliéner.

    Je me suis décidé à aller chercher mes patchs à la pharmacie après avoir pris mon café sans cigarette. M’étant douché, j’ai pu m’en coller un sur l’épaule, et j’ai commencé à mastiquer ma gomme, tout en pratiquant ma gymnastique quotidienne :

    — La bêtise de mes contemporains m’effare… On chercherait en vain un phare de la pensée parmi eux. Mais quand on a vu le coucher de soleil derrière la Lanterne de Gênes, à côté de laquelle le phare d’Alexandrie fait pâle figure, on n’est pas prêt à mourir pour autant, mais au moins à affronter beaucoup d’inepties. 

    Je n’étais cependant pas serein. Le visage de la jeune pharmacienne qui m’avait si obligeamment écouté, conseillé et orienté, m’obsédait. Mais pas seulement : son prénom aussi m’obsédait. Charlotte… me ramenait des années en arrière. Oui, je connais la plaisanterie, oui, elle me faisait rire quand j’étais adolescent, et non, ce n’est pas à moi de dire s’il y a prescription ou pas :

Charlotte, ton cul ballotte…

    — … Ah non, ça ne vole pas haut !

    Ah ! Qu’il est difficile d’avoir des pensées élevées !

    Je me souviens que peu avant la naissance de ma petite sœur, c’est moi qui avais expliqué à mes parents, tandis qu’ils envisageaient ce prénom pour elle, ce que ses copains risquaient de chanter dans la cour de récréation. C’est donc à cause de moi que ma petite sœur ne s’appelle pas Charlotte. Elle ne le regrette certainement pas, parce qu’il y a peu de chances qu’elle y pense.

    Et moi, je ne regrette rien, et pourtant…

    Cette pharmacienne est une jeune femme au visage intelligent, qui a fait des études, qui a le sens des responsabilités, qui n’a, en un mot, pas grand-chose à voir avec les bécasses, les pintades, les oies, les autruches, qu’on croise dans les rues de Paris, ni même avec les putes de luxe du 8e arrondissement.

    Il me semble que j’aurais pu être heureux avec cette jeune femme au visage intelligent, pharmacienne de son état, si elle m’avait aimé. Aimer ! Y a-t-il quelque chose de plus difficile au monde, mis à part la quadrature du cercle et le fait de mettre ses actes en accord avec ses principes ?

    Mais cela n’a pas été possible.

    Il n’en reste pas moins que si elle n’est pas comme les autres, elle a, elle aussi, un popotin qui remue et qui s’agite. Je ne l’ai pas vu, et je n’ai pas cherché à le voir, mais je l’imagine. Ce popotin qui s’agite, c’est de la vie.  Et quand je vois son beau visage intelligent, je crois qu’elle ne peut être que fière de son corps.

   Bien sûr que je juge, mais je me juge aussi : je me dois d’avoir de la gratitude, non pas pour sa gentillesse ou son professionnalisme de pharmacienne, mais pour la beauté de son visage, et les fantasmes que m’inspirent ce que je ne vois pas d’elle.

    Le problème, c’est que je ne peux pas l’exprimer verbalement, je ne peux pas le lui dire en face.

    J’estime donc de mon devoir d’avoir de la gratitude muette pour ce qu’elle me donne à voir et à imaginer… tandis que son devoir à elle, c’est d’être fière de son corps et de sa beauté.

    Elle n’est pas qu’une intellectuelle, une femme de tête, une pharmacienne qui a fait des études et qui fait son métier avec professionnalisme, compétence et implication… Elle a aussi un corps qui vibre de même qu’elle a un petit cœur qui bat et qui palpite…

    Mais qu’est-ce qui la fait tenir, bon sang ? Son métier, ce n’est pas que de la passion, il y a toutes les corvées, les servitudes, la paperasse… Qu’est-ce qui la fait vibrer, qu’est-ce qui fait palpiter son cœur ?

    Qu’est-ce que c’est la beauté pour elle ?

    Quel est son rapport aux Arts, qu’ils soient majeurs ou mineurs ?

    J’imagine qu’il est désinvolte, ludique, qu’elle en retire un plaisir léger et un réconfort temporaire, mais en fait je n’en sais rien.

    Je n’arrive cependant pas à imaginer chez elle un rapport violent et passionné avec les Arts et le corps, une passion violente pour les Arts, et une violence passionnée, qu’il s’agisse d’une exécration ou d’une adoration passionnée envers son propre corps.

    Et voilà que je me remets à juger, en même temps que je me juge moi-même : je désapprouve chez elle des passions tièdes ; or, je me considère moi-même comme un individu assailli par des démons tièdes.

    Que j’aimerais l’adorer ! la soumettre à des supplices raffinés, lui infliger des tortures étudiées, ou la placer sur un piédestal inaccessible !

    Mais c’est moi que je voue aux pires gémonies en fait, pour cette intelligence moyenne, ces rêves moyens, cette prose moyenne, ces dispositions poétiques très moyennes qui, paradoxalement, composent le portrait d’un individu plutôt médiocre.

    Où est-elle passée cette passion pour le cinéma, la littérature, les arts majeurs ? A-t-elle jamais existé ?

    Et cette passion pour une sexualité transgressive, iconoclaste, débridée, inventive, d’une fantaisie plus ou moins charmante ?

    Il y a des reliquats. Des restes. Des bribes. Des amorces. Des souvenirs. Tout cela est devenu bien plan-plan, bien sage, bien conformiste, placé sous le sceau de la soumission : il n’y a plus qu’à consommer, à obéir, à dormir et à se taire, jusqu’à la mort.

    Tout cela est triste à mourir.

    Il n’y a pas que philosopher qui apprenne à mourir : la tristesse et la mélancolie sont de bonnes introductions aussi.

    Justement, après avoir longtemps tergiversé, je suis allé la voir pour lui proposer une sortie aux Journées du Patrimoine ou une exposition temporaire dans un musée parisien, et je me suis vu opposer une fin de non-recevoir, poliment exprimée. Après avoir pris mon courage à deux mains, je me suis pris le râteau dans les dents.

    — Ce n’est pas le courage qu’il fallait empoigner à deux mains, patate ! C’est le râteau auquel il fallait faire attention pour ne pas se le prendre en pleine figure !

    Voilà ce que c’est que de moraliser, faute de maîtriser l’écriture fictionnelle qui permet de se livrer à une satire subtile et nuancée des mœurs contemporaines, de vouloir faire la morale aux autres quand on a soi-même une expérience assez réduite de la vie, on en paie les conséquences au prix fort (aussi, on m’avait bien prévenu qu’il ne fallait pas jouer au moraliste quand on est un roquet de banlieue qui n’a finalement qu’une connaissance superficielle des moralistes du Grand Siècle, La Rochefoucauld, La Fontaine, et ceux du XVIIIe siècle, Chamfort et Vauvenargues, et ma psy n’avait pas ménagé ses conseils dans ce domaine – ce qu’on ne m’avait pas dit, parce que mes parents m’ont toujours beaucoup trop couvé, pour ne pas dire flatté, c’est que j’avais une tête qui n’apporte pas forcément de bonnes nouvelles aux femmes, et pourtant j’avais lu Houellebecq : j’ai été un personnage houellebecquien, et en un sens un personnage romantique dans une société qui l’est si peu.

    J’étais sur le point de désapprouver le mépris de la Miss envers les spasmes du corps, les galipettes endiablées et les marathons de volupté échevelés, en un mot pour sa sagesse qui lui permet de se tenir à l’écart des plaisirs qui ne laissent qu’un goût amer dans la bouche, et c’est moi qui me retrouve la queue entre les jambes, gros Jean comme devant.

    En tant qu’écrivain, je ne sais pas, il me semble que ma réputation, qui n’a jamais été clairement établie dans le monde des lettres françaises, n’est plus à faire, en ce sens qu’il y a désormais peu de chances que je perce un jour en me faisant passer pour un jeune auteur plein d’ardeur et d’enthousiasme face au défi que lui pose la vie et qui aurait quelque chose de neuf et d’original à dire sur elle, mais en tant qu’être humain, j’aurai exploré pas mal d’aspects et de situations de la condition humaine, hormis le triomphe éclatant et le succès flamboyant, incontestable.

     Que je me connais mal, pourtant ! Et ce n’est pas faute de m’être étudié, d’avoir étudié la dualité de la créature, d’avoir pratiqué la méditation et l’introspection, plutôt contraint et forcé que par réelle vocation, d’ailleurs. La subtilité et la nuance ne sont pas mon fait ; si je philosophe, c’est à coups de marteau, comme le faisait Nietzsche face aux fausses valeurs de son temps.

    Que je connais mal les autres, aussi ! Ce n’est pas faute de les avoir observés, qu’il s’agisse de la faune parisienne ou des cagots de province, ni faute d’avoir consulté des essais sur les sciences de l’homme, comme l’Essai sur l’homme de Ernst Cassirer, mais justement les vraies gens se moquent de ces ouvrages, comme La Distinction de Bourdieu : ils vivent sans se préoccuper de ces drôles d’objets qui prétendent les mettre en fiches.

    Mais surtout que je connais mal les femmes !

    J’étais parti dans l’existence avec les conseils de mes parents et des idées peu claires, inspirées de mes lectures et d’une science livresque, une admiration sans bornes pour les aphorismes brillants d’Oscar Wilde et de Cioran, parce que les femmes, comme la vie, sont trop complexes pour être systématisées, ainsi que pour l’Essai sur les femmes de Schopenhauer, un sommet de misogynie réactionnaire. Permettez-moi de vous dire que c’est l’Essai de Schopenhauer qui a le mieux résisté. Il est toujours là.

    Quant à aimer les femmes plutôt qu’à les comprendre, comme le suggérait Oscar Wilde, je n’en sais trop rien si je n’en suis pas encore complètement revenu.

    Elles me font souffrir. Et plus particulièrement les adolescentes, pas seulement celles qu’Alberto Lattuada a montrées dans son film I Dolci Inganni (1960), avec Catherine Spaak, les adolescentes des années 1950-1960, mais aussi celles que je côtoie depuis ma propre adolescence, avec leur poitrine gorgée du désir de vivre, leurs petits seins, leur peau douce et délicatement ambrée par le soleil, leurs jeans taille basse avec le slip qui dépasse, leur nombril, leur moue hautaine et méprisante, leurs conversations ineptes et leur cynisme blasé.

    Je n’ai jamais eu le chic avec les filles. Est-ce bien si grave ?

     Pour me changer les idées, j’ai fumé une cigarette et je suis allé me promener du côté du Petit Palais où j’ai pas mal de souvenirs, c’est là que j’avais découvert une exposition consacrée à Oscar Wilde en 2016, une autre consacrée à Ilya Répine en 2021, une autre à la peinture danoise, une autre à Albert Edelfelt, une autre enfin à Giovanni Boldini, intitulée « Les Plaisirs et les jours », empruntant son nom au titre d’un recueil de nouvelles de Marcel Proust. Comme Marcel Proust, j’ai beaucoup aimé me promener au bas des Champs-Élysées, où nulle Gilberte ne m’attendait cependant, tandis que j’ai croisées pas mal d’épigones ordinaires d’Odette de Crécy, facilement reconnaissables. Très peu de princesses de Guermantes pour ne pas dire aucune.

    Et pourtant, certaines femmes, vulgaires ou altières, cameriere, putains ou femmes du monde, malgré un visage où se lisait beaucoup d’autosatisfaction et de contentement de soi, ne manquaient pas de charme. Ce sont les femmes de lettres, les bas bleus, les intégristes féministes, les idéologues de la désintégration de la masculinité que j’ai le plus difficilement supportées.

     Comme Proust, je ne crois ni à un art qui puisse être exclusivement populaire, ou exclusivement patriotique. Le patriotisme n’est pas forcément le refuge de la canaille, comme l’écrivait Samuel Johnson qui visait sans doute les idéologues, tandis que ceux qui ont servi leur pays ont bien le droit de l’aimer, mais l’exaltation de l’identité nationale porte en elle les germes de la haine, quand elle cherche à faire porter la responsabilité des maux d’un pays à des bouc-émissaires qui sont alors désignés à la vindicte des masses. Des expositions comme celle consacrée aux peintres danois ou à Albert Edelfelt m’avaient appris que les peintres de grand talent tentaient de procéder à une définition culturelle de l’identité de leur pays, en représentant des « types », des personnages issus des différentes catégories sociales, ainsi que des paysages pour en montrer la diversité, qu’il s’agisse de la Finlande, du Danemark ou de la Suisse (il s’agissait d’une autre exposition, vue au musée d’Orsay en juillet 2021).

    Il me semble que j’ai aussi aimé l’Art pour l’Art, surtout quand il était théorisé par Oscar Wilde (« C’est la vie qui imite l’art, et non l’inverse » : voilà un de ces brillants aphorismes par lesquels j’ai été impressionné très jeune, justifiant mon admiration constante pour le dandy irlandais), le décadentisme, le symbolisme, la peinture figurative des Impressionnistes qui montraient une Arcadie pré-industrielle, ainsi que la peinture académique du XIXe siècle, avec ses sujets empruntés à la mythologie antique, et surtout ses jeunes vestales et ses déesses dénudées offertes à la concupiscence masculine. C’est là qu’on voit que ma définition de la décadence est assez sommaire. Les décadents de la fin du XIXe siècle, comme Huysmans et Oscar Wilde étaient quand même plus raffinés.

    En cette belle journée d’automne, j’avais un projet bien précis : non pas revoir l’exposition « Trésors en noir et blanc, Dürer, Rembrandt, Goya, Toulouse-Lautrec » au Petit Palais, qui non seulement était payante mais s’annonçait sinistre, centrée sur la mélancolie.

      La mélancolie peut être agréable quand elle est douce, mais ce qu’en disent les exégètes et les spécialistes n’est pas réjouissant : apparue à l’aube du IVe siècle avant J.-C., en Grèce, formé par l’association entre le terme de kholê (bile) et celui de mêlas (noir), le terme signifie littéralement bile noire et désigne, selon les penseurs grecs, à la fois une substance naturelle dans le corps et la maladie liée à l’excès de cette substance. « Si crainte et tristesse durent longtemps, un tel état est mélancolique », telle est la première définition que l’on connaît de la mélancolie, tirée des Aphorismes d’Hippocrate. Cependant, à cette première approche, clinique, s’en superpose très vite une seconde, philosophique cette fois, et qui la déborde. Elle figure dans un texte issu du cercle aristotélicien, le Problème XXX, dont l’attribution à Aristote est encore débattue. Ce texte en tout cas n’envisage plus le mélancolique sous l’angle de la maladie mais sous celui du génie : « Pour quelle raison tous ceux qui ont été des hommes d’exception, en ce qui regarde la philosophie, la science de l’État, la poésie ou les arts, sont-ils manifestement mélancoliques, et certains au point d’être saisis par des maux dont la bile noire est l’origine ? » Plus large que le diagnostic d’Hippocrate, cette conception est aussi plus ambivalente et le mélancolique y occupe une position pour le moins instable : menacé par l’hébétude ou la terreur si la bile noire, froide par nature, est en excès dans son organisme, guetté par la folie et le suicide si elle est trop chaude, il peut néanmoins accéder à un état d’exception, c’est-à-dire au génie, pour peu que l’échauffement de la bile se soit arrêté, « dans sa poussée, à un état moyen ».

    À température moyenne, en effet, la bile a le pouvoir d’engendrer chez le mélancolique « des états de toutes sortes ». Si l’auteur précise que cette mélancolie inspirée n’est pas pathologique, il n’explique pas en revanche en quoi la multiplicité des états que peut connaître le mélancolique a partie liée avec le génie. Les textes d’Aristote éclairent ce lien.

    Dans son traité De la divination, Aristote caractérise les mélancoliques par leur propension « à suivre leur imagination », l’imagination étant entendue ici au sens de mouvement par lequel toutes les sensations perçues par l’individu s’impriment dans sa mémoire sous forme d’images, de la même façon qu’un sceau apposé sur un bloc de cire y laisse une empreinte. L’imagination est donc inséparable de la mémoire. De fait, dans le Théétète, c’est la mémoire que Platon nomme « la mère des Muses », puisqu’elle conserve les images des Idées, ces entités divines qui préexistent à la naissance de l’individu, et d’où procède l’âme. L’imagination inspirée, la « fureur divine », correspond pour Platon à l’envol de l’âme en dehors du corps – l’ekstasis – vers cette connaissance antérieure d’où elle provient et à laquelle elle ne peut cesser d’aspirer. Aristote, s’il réfute l’existence d’un monde des Idées accessible à l’homme, n’en aboutit pas moins à la même conception qui fait de la mémoire l’origine de toute création : les images qui y sont conservées, en permettant au poète de se mettre « le plus possible les situations sous les yeux », le transportent littéralement dans un autre état, celui de tel personnage ranimé par le poète, de tel autre protagoniste… Les « états de toutes sortes » que connaît le mélancolique grâce aux variations de la bile noire s’identifient ainsi à ceux auxquels accède le poète par l’intermédiaire de la mémoire et de l’imagination, états dont la connaissance fonde la vérité de son œuvre.

    La bile noire du Problème XXX se présente en définitive comme une métaphore de l’imagination, dont elle serait le ferment physiologique. De fait, les puissances de l’imagination recoupent très exactement les affres auxquelles est soumis le mélancolique dans le Problème XXX : que l’imagination envahisse tout son être, et il sombre dans la torpeur ; qu’elle l’entraîne sur les voies de l’illusion et de l’erreur, et il devient fou ; qu’enfin elle lui permette d’accéder à l’exaltation sans l’y enfermer, et il touche au génie. À partir d’Aristote, la mélancolie est clairement associée à l’imagination. La mélancolie est « un abattement, consécutif à une quelconque imagination », affirme le médecin Archigène. « Ceux dont l’intelligence est très fine et pénétrante tombent facilement dans la mélancolie, par la raison qu’ils ont des gestes prompts et qu’ils sont toute préméditation et imagination », enchérit Rufus d’Éphèse, dont la pensée, reprise par Galien, sera transmise à l’Occident.

    J’avais envie de revoir l’Autoportrait au petit chien de Rembrandt dans les collections permanentes. C’est là que j’ai appris qu’il était dans l’exposition temporaire. Je ferai mon Bergotte, le personnage de Proust allant revoir le petit pan de mur jaune dans la Vue de Delft (1660) de Johannes Vermeer au musée de l’Orangerie, une autre fois.

    C’est comme pour les Journées du Patrimoine : tout était complet. Si c’est pour fréquenter la faune, la plèbe autant que la bourgeoisie friquée et m’as-tu-vu, je m’en passerai tout aussi bien.

    J’étais assis sur un banc devant le Petit Palais, jouissant des couleurs de l’automne, à peine importuné par les touristes, quand j’ai aperçu une version moderne de la cocotte, habillée de marques élégantes et chères. Son visage ne respirait pas l’intelligence

    Sur le chemin du retour, je suis passé au bureau de Poste, où un quarteron de fonctionnaires dépourvues d’ambitions esthétiques m’ont gentiment expliqué que mon plafond de paiement avait été relevé. Je me suis précipité vers une borne Vélib’, j’avais besoin de me défouler, de faire un tour en vélo et de filer dans les rues de Paris à toute allure. J’avais envie de revoir le bois de Vincennes, et de voir combien de temps je mettrais pour rallier les terrains de tennis du polygone où un ami m’avait proposé de faire une partie un de ces jours. J’ai mis moins de 45 minutes pour rallier le lac Daumesnil. Je m’y étais beaucoup promené surtout quand j’étais jeune, puis plus tard au gré de mes visites chez ma psy. Il a ce charme des lacs urbains enserrés dans un écrin de verdure, et il me fait penser à l’étang des Patriarches que j’avais vu à Moscou. Je me souviens d’y avoir fait du canotage parce que cela me paraissait romantique, encore que tout seul on n’a pas l’air malin. C’est effectivement plus romantique à deux : les gens qui sont heureux vont par deux. Mais cela ne m’a pas été donné. Et en plus, on me demande d’adhérer à une conception petite-bourgeoise de la tolérance, quand les artistes et les écrivains que j’ai admirés étaient au contraire des mal-pensants, des subversifs qui pourfendaient la mesquinerie et l’étroitesse des valeurs petites-bourgeoises : je me souviens d’Oleg Kulik, cet artiste russe rappelant l’animalité de l’homme, la nécessité de faire l’animal pour défendre sa liberté face aux institutions d’un régime totalitaire, de Jaroslav Hasek et de son brave petit soldat Chvéïk jouant à l’idiot, le seul moyen pour lui de conserver sa dignité et sa liberté dans un empire austro-hongrois dont les fonctionnaires d’autorité, à l’époque de la Première Guerre mondiale, étaient tous des sadiques, des tortionnaires cyniques, veules et lâches. Je me souviens de Piotr Pavlenski mettant le feu aux portes de la Loubianka, le siège du FSB. Je me souviens de la Lolita et de L’Enchanteur avec lesquels Vladimir Nabokov entendait pourfendre la vulgarité des valeurs mercantiles de la société de consommation, ce qui ne pouvait qu’interpeler l’adolescent que j’étais, à l’instar des films de Pasolini, tels Théorème ou Salo ou les cent vingt journées de Sodome, tout en indisposant les capitalistes tout occupés à faire de l’argent et des affaires.

    Je me disais bien que je n’aurais pas dû être là, que j’aurais dû prendre une part plus active aux débats qui agitent le microcosme parisien, qu’il soit littéraire ou financier. C’est comme ça qu’on devient un « winner », un gagnant, un battant. J’ai été, à mon corps défendant, un perdant, un raté, un tocard dès le départ.

        Je me suis souvent senti mal à l’aise avec les nouveaux riches, les commerçants, les bourgeois habiles à faire du fric, en raison de leur hypocrisie à peine dissimulée : leurs bonnes manières n’étaient qu’une façon de me faire comprendre que je n’étais que toléré ; ainsi que dans les temples du luxe où l’intimidation sociale prend des formes feutrées. Mais je ne voyais pas où était le problème, j’étais content d’être là, mettant à l’épreuve ma timidité pour me mettre au diapason de l’obséquiosité de mes interlocuteurs. Le problème était pourtant simple : le but de la vie n’est pas de consommer, il consiste à faire du fric et à gagner de l’argent, peu importe le moyen.

  — Il ne faut pas traiter les autres comme des moyens au service de ta propre fin, diront les cagots pour faire croire qu’ils ont lu Kant, le philosophe de Königsberg, et son Traité de paix perpétuelle. Ce sont là des préciosités que seuls peuvent se permettre ceux qui ont de l’argent, et qui se penchent sur la misère du monde pour se donner bonne conscience.

    Alors j’étais bien au bord du lac, auquel il n’y avait pas le feu. Il avait une tonalité neurasthénique parce que populaire, avec ses odeurs de graillon et de glaces des baraques à snack, et son chanteur latino-américain qui chantait :

— Guatemala !

    Io mi ricordo di Paolo Borsellino…

— Cuba !

… di Giovanni Falcone,

— Venezuela !

… di Leonardo Sciascia,

— Panama !

… di Elio Petri,

— Nicaragua !

… di Francesco Rosi,

— Che Guevara !

… di Sacco e Vanzetti, sacrificati sull'altare della buona coscienza dell'America onnipotente, delle nevrosi americane, in preda alla paura dei rossi e degli anarchici, di coloro che volevano costruire un mondo migliore in cui i figli dei poveri potessero ridere e divertirsi e non solo lavorare come schiavi al servizio degli interessi dei potenti.

    Io sono un comediante-tragediante, ma mi ricordo degli uomini in piedi contro l’imperialismo, l’oppressione, la corruzione, la disperazione, che hanno cercato di conformare le loro azioni ai loro principi, e non mi pento di averli ammirati.

    Il manquait quelque chose… Le romantisme peut-il être populaire ? Certes, il y a le romantisme de la banlieue et de la défaite, même si c’est beaucoup plus chic chez les heureux du monde, avec sa tonalité snob, mondaine, qu’avec l’âge je tolère de plus en plus difficilement dans la réalité, et beaucoup mieux au théâtre, et en particulier dans les pièces de Tchekhov, avec ses personnages d’aristocrates négligents, dépassés par les hommes nouveaux, pragmatiques, habiles et rusés. Comme quand j’étais jeune, en fait.

    Puis, je suis rentré, et je me suis trouvé sur la piste cyclable des quais de Paris à l’heure de pointe par cette belle journée d’automne.

— « T’es dans le vélo, qu’est-ce que tu parles ! »

    Pour une fois, ce n’est pas à moi que l’apostrophe s’adressait. Il est vrai qu’un peu plus tôt dans l’après-midi, tandis que j’avais grillé un feu rouge en même temps que la priorité à un véhicule non identifié, sa conductrice, une jeune femme, m’avait lancé :

— « Intellectuel, va ! »

— Grazie Signorina ! Sei tu la più bella, la principessa dell’autostrada !

    Pour une fois, donc, ce n’est pas ma mère qui me disait :

— « Tu es dans la lune, arrête d’être distrait, fais attention, suis-moi et sois vigilant. », comme elle le faisait quand j’étais adolescent, et forcément ça me rendait quand même un peu nostalgique, malgré la tonalité parfois peu amène de ses reproches.

    À la limite, on aurait pu me dire :

— « T’es sur ton vélo, qu’est-ce que tu fais ? »

    Qu’est-ce que je faisais ? J’attendais, comme j’ai beaucoup attendu dans ma vie. J’étais dans la lune, perdu en plein jour par cette belle journée d’automne dans le trafic, au milieu des embouteillages parisiens, parce qu’il n’y avait pas ma mère pour me surveiller. Il est bon de ne pas toujours être dans les jupes de sa mère, même si ma conception de la liberté, au milieu des gaz d’échappement, par cette belle journée d’automne, entre l’Assemblée nationale et l’esplanade des Invalides, peut sembler paradoxale.

    J’attendais, j’étais dans la lune, et pourtant j’observais. J’observais ce jeune trentenaire BFCSP+ et parisien, le calme de son à-propos face à ce travailleur immigré qui protestait avec véhémence pour faire croire qu’il n’était pas dans son tort.

    Étais-je jaloux ? Il me semble bien que oui. De son aisance, de son esprit de répartie. Étais-je jaloux seulement de lui ? Si j’en crois Rimbaud, « Je est un autre ». Si je me souviens bien de Fernando Pessoa, le bonheur, ce serait d’être quelqu’un d’autre. Quelqu’un d’autre que moi. Pas seulement ce bellâtre à la mâchoire carrée, mais par exemple un écrivain ou un satiriste de grand talent, ce talent qui permet d’éviter les pièges et d’affronter les contradictions de la vie moderne avec grâce et ironie.

    J’aurais aimé être un prophète, qu’il soit réactionnaire ou progressiste peu importe, qui écrit des centaines de pages, et je ne le suis pas.

    D’abord, j’ai un style alambiqué, reflet du chic que je n’ai pas.

    Ensuite, je suis un spécialiste des efforts brefs :

Animula vagula, blandula,

Hospes, comesque corporis,

Quae nunc abibis in loca,

Pallidula, rigida, nuduia,

Nec ut soles, dabis jocos.

Traduction :

Petite âme vagabonde et câline,

Hôte et compagne de mon corps

Tu vas t’en aller vers des lieux blêmes, sévères et nus,

Et tu ne raconteras plus de badinages

Comme tu en avais l’habitude.

Enfin, je n’écris pas pour défendre des convictions.

Mais quelles seraient-elles, ces fameuses convictions ?

    Ma foi…

    Ma psy m’avait pourtant mis en garde : ni révolte, ni soumission, ni idéalisation, ni tout ce fiel, cette bile noire. Les pas de côté, la beauté. Mais la beauté étant privatisée, il est bien difficile d’y avoir accès sans payer, ou sans être traité comme un objet : « quand c’est gratuit, c’est vous le produit. »

    J’ai quand même réussi à rendre le Vélib’ dans les 45 minutes qui m’étaient imparties. C’est que quand on est pauvre, on n’a pas le choix, il faut respecter la règle et le temps qui est compté. Pour me remettre de ces émotions, je suis allé dîner à la brasserie dans laquelle j’ai mes habitudes. Le patron me reconnaît, j’ai l’impression qu’il me considère comme un gentil hurluberlu, je dois bien reconnaître que j’ai toujours l’air de revenir de Dieu sait où, en l’occurrence de l’autre bout de Paris. Paris que j’ai visité en long, en large et dans tous les sens, à la manière du Piéton de Paris de Léon-Paul Fargue, qui a donné son nom à la place du carrefour Duroc, juste à côté de chez moi, depuis mes promenades au Père-Lachaise, sur les tombes d’Oscar Wilde et de Pierre Desproges, au cimetière de Montmartre, où se trouve celle d’Alfred de Vigny, au cimetière de Passy, où se trouve celle de Fernandel… J’ai beaucoup aimé me promener dans les cimetières parisiens, surtout en automne. Ça a commencé pour le centenaire de la mort d’Oscar Wilde, le 30 novembre 2000, au père Lachaise ; plus récemment, après avoir visité l’exposition Ilya Répine au Petit Palais, où il y avait un tableau qui représentait un rassemblement au mur des Fédérés après la Commune, j’y étais retourné. Juste derrière, il y a le théâtre de la Colline, où nous allions avec ma mère quand j’étais jeune et où j’avais découvert la pièce d’Italo Svevo, Un Mari, une histoire d’uxoricide particulièrement complexe. Le patron de la brasserie, c’est un fan de rugby. Il me fait penser au patron Vazquez de Fernando Pessoa. On a tous un patron Vazquez. Celui-ci n’est pas passionné de littérature. Je lui dirais que je reviens de Moscou ou de Saint-Pétersbourg, il ne me croirait pas, et pourtant… Moscou, j’y étais allé en 2015 et en 2016, et Saint-Pétersbourg, j’y étais retourné en 2019, après y avoir été une première fois en 1995. Pour y faire la foire et m’amuser, bien sûr, mais aussi pour visiter les musées.

     J’aurai quand même fait quelque chose de bien, cet été : j’ai participé à une entreprise collective de nettoyage d’un canal d’irrigation, au service du Bien commun : la protection de l’environnement et des arbres contre la sécheresse, le manque d’eau… Ces arbres appartiennent à ma famille, c’est sûr, mais ils nous survivront : en nettoyant le canal qui les irrigue, dans la campagne au milieu des villas avec piscine des riches qui regardent la télévision quand ils ne font pas de la politique, beaucoup plus habiles que moi à défendre leurs intérêts en faisant travailler les autres, nous avons servi une cause qui nous dépasse. Nous étions plusieurs, tous plus ou moins sceptiques et pessimistes, bien qu’il ne faille pas le dire comme ça parce qu’on est rapidement taxé de complotisme dès lors qu’on n’adhère pas aux vérités officielles sans disposer des arguments rationnels qui permettent de les contester. Philosopher, c’est pourtant dire non, et c’est la philosophie politique qui permet d’établir une critique rationnelle de la démagogie ambiante, qu’il s’agisse des discours extrémistes ou des éléments de langage de la pensée dominante.

Vendredi 15 septembre 2023.

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